Une autre histoire de l'abolition de la peine de mort

Fondapol | 18 juillet 2011

18.07.2011

Le 9 octobre prochain, la France fêtera le trentième anniversaire de l’abolition de la peine de mort.

C’est du reste sous le patronage de Robert Badinter, figure iconique de ce combat-là, que l’ouvrage de Jean-Yves Le Naour est placé. L’ancien garde des Sceaux signe en effet la préface de cette Histoire de l’abolition de la peine de mort.

 

Avouera-t-on qu’on espère d’un tel ouvrage qu’il rappelle la longue histoire du combat abolitionniste, en révèle des figures inattendues et en resitue le contexte ? Loin de l’encens médiatique et des commémorations unanimistes, on attendait depuis longtemps un livre d’histoire sur l’abolition : le voilà !

L’abolitionnisme est enfant des Lumières

D’autres penseurs s’étaient auparavant indignés de la capacité de donner la mort que s’arrogeait la société pour punir les criminels ; mais c’est avec les Lumières et surtout Cesare Beccaria que l’abolition de la peine de mort commence à devenir une cause.

Cet aristocrate milanais fait en effet paraître Des délits et des peines en 1764. Dans ce texte publié anonymement, il analyse les lois pénales sous l’angle de leur utilité, s’élève par conséquent contre l’usage de la torture et voit dans la peine de mort l’exemple d’une sanction totalement inefficace. Très vite, l’ouvrage est traduit et diffusé dans toute l’Europe.

L’abolitionnisme et la Révolution française

 

La cause de l’abolition de la peine de mort apparaît ensuite de manière ponctuelle dans le débat public français à partir de la fin du XVIIIe siècle.

Au reste, l’histoire de l’abolitionnisme en France appelle irrésistiblement une métaphore hydrologique : ce combat-là serait pareil à ces rivières dont le cours est à la fois capricieux et parfois souterrain. Jean-Yves Le Naour en propose un relevé en huit scansions chronologiques, dont certaines sont riches en méandres.

Il s’attarde d’abord sur le faux paradoxe d’une Révolution française qui proscrit la torture mais applique la peine de mort sur une très grande échelle, à l’époque de la Terreur (1793-1794). En réalité, c’est dès 1789 que commence pour la France la grande époque de la peine de mort pour motifs politiques.

Le temps de la veuve

La guillotine est restée un des symboles de la Révolution dans la mémoire collective, alors qu’elle ne fut utilisée qu’à partir d’avril 1792. Pourquoi du reste avoir choisi cette étrange machine pour exécuter les condamnés à la peine capitale ? La question est beaucoup moins anecdotique qu’il y paraît, au regard du combat pour l’abolition de la peine de mort.

Des considérations d’humanité et d’égalité expliquent en effet le choix de l’Assemblée Législative en faveur de  la guillotine.

La guillotine tuait très vite et de manière presque certaine, sauf enrouement improbable de la lame : voilà pour l’humanité.

D’autre part, il fallait que chacun, riche ou pauvre, ci-devant ou roturier, homme ou femme, mourût de la même manière : jusqu’à la Révolution, la pendaison était la mort des pauvres et des voleurs, la décapitation celle des nobles conspirateurs, l’écartèlement celle des régicides, tandis que d’autres, rebelles ou hérétiques, étaient roués ou brûlés vifs. Au lieu de cela, ce serait le « rasoir national » pour tous après 1792. Voilà pour l’égalité !

Des abolitionnistes modérés et des abolitionnistes absolus

Décidément, la Révolution française est bien une période décisive pour l’histoire de l’abolition de la peine capitale, une matrice des débats à venir.  Les ambiguïtés et difficultés du combat abolitionniste sont ainsi  posées dès le premier débat sur la suppression de la peine capitale, en mai 1791, à l’Assemblée constituante.

Il apparaît alors que les abolitionnistes sont d’accord sur le principe de l’abolition…  mais seulement sur ce principe. On distingue même dès cette époque des abolitionnistes dits « modérés » – qui veulent que la peine de mort reste appliquée pour les crimes considérés comme graves – et des abolitionnistes absolus, qui demandent l’abolition pure et simple pour tous les crimes.

Pas d’abolition sans réflexion sur la prison

Or, Robespierre ne campe pas seul sur ce front de l’abolitionnisme « intégral » en 1791. Le modéré Adrien Duport, le futur Girondin Pétion sont des avocats passionnés de l’abolition, comme plus tard Condorcet.

L’argument qui leur est opposé par Brillat-Savarin  -oui, le futur auteur de la physiologie du goût !- sera repris en boucle par tous les adversaires de l’abolition de la peine capitale au XIXe siècle : abolir la peine de mort, c’est croire que la prison peut être un lieu de rédemption ; or, en y enfermant les criminels les plus dangereux, on court le risque qu’ils « contaminent » les prisonniers coupables de crimes moins graves, voire de délits bénins.

En 1791, cet argument joue à plein contre l’abolition. C’est pourquoi les abolitionnistes du XIXe siècle, comme Victor Hugo, lieront souvent leur combat à une réflexion approfondie sur la prison comme lieu d’une possible rédemption, d’une rééducation à la vertu

Abolir, oui… mais pas tout de suite

Le combat abolitionniste est en effet très présent dans le débat public sous la Restauration et la monarchie de juillet, au point que tout espoir de succès n’est pas interdit aux plus engagés de ses avocats, comme le libéral Benjamin Constant ou le poète Alphonse de Lamartine.

Puis, sous le Second Empire, l’abolition de la peine de mort devient une cause républicaine : ceux qu’on appellera plus tard « les trois Jules » (Favre, Simon, Ferry) s’engagent en sa faveur.

Mais la République une fois établie en 1870, puis assurée dans ses fondements après 1875 et 1879, la décision d’une abolition définitive sera sans cesse remise à plus tard, alors même que les chefs de l’Etat, qui disposent du droit de grâce, en usent largement.

En cause ? L’opinion qui, l’antienne est connue, ne serait « pas prête ».

L’âge d’or du fait divers

La Belle Epoque marque il est vrai un premier apogée du fait divers.

La presse, dont la popularité témoigne de l’émergence d’une véritable culture de masse, fait son miel des crimes qui excitent l’imagination des lecteurs. D’où de véritables émotions populaires quand l’exécution d’un assassin est différée…

C’est sans doute ce qui explique l’échec de la cause abolitionniste lors d’un vote organisé à l’Assemblée nationale, le 8 décembre 1908 : effrayés, la plupart des modérés refusent d’aller contre l’opinion, quant les socialistes et une majorité de radicaux soutiennent l’abolition.

Difficile d’abolir la peine de mort en temps de guerre… ou d’immédiate après-guerre !

La cause de l’abolition  de la peine de mort disparaît alors, et pour longtemps, du débat public hexagonal.

Elle perd en particulier beaucoup de son actualité avec les deux conflits mondiaux. Jean-Yves Le Naour l’explique sans détour : « en temps de guerre, la vie d’un homme ne vaut pas grand-chose, alors pourquoi défendre celle d’une crapule promise au couperet quand tant de braves gens expirent sur les champs de bataille[1] ? ».

Les avocats méconnus de l’abolition

Il faut attendre l’épuration et ses inévitables bavures, puis les guerres coloniales, pour relancer le débat sur l’abolition, à une époque où les exécutions ont, on le sait, cessé d’être publiques[2].

A cet égard, on saura gré à Jean-Yves Le Naour d’avoir rendu justice à des partisans de l’abolition moins connus que Robert Badinter, mais non moins pugnaces.

Ainsi de l’avocat Philippe Lemaire, qui vient de mourir et fut un des avocats de Roger Bontems en 1972.

Ainsi encore des gaullistes Pierre Bas -cet adversaire passionné de l’avortement et catholique convaincu usa d’artifices de procédure pour faire débattre le Parlement de ces questions dans la seconde moitié des années 1970[3]– ou de Philippe Séguin qui, par conviction et souci de s’opposer au prudent président Giscard d’Estaing, menèrent le combat abolitionniste au Parlement avant 1981.

C’est du reste au néogaulliste Jacques Chirac qu’il revient d’avoir fait très symboliquement garantir le principe de l’abolition de la mort en l’inscrivant dans la Constitution de la Ve République, au début de l’année 2007.

Pour une comparaison entre abolitionnisme français et abolitionnisme anglo-saxon

Un seul reproche pourra être adressé à Jean-Yves Le Naour : dans ce livre engagé mais rigoureux, le contexte international n’est présent qu’à l’arrière plan et surtout pour le seconde moitié du XXe siècle.

Or, il y aurait matière à comparaison passionnante entre, d’une part, un abolitionnisme français qui, au XIXe siècle, procède d’un humanisme souvent laïc et, d’autre part, l’abolitionnisme anglo-saxon. Ce dernier fut souvent porté par des minorités religieuses -comme d’autres causes : qu’on songe au féminisme, à l’anti-esclavagisme, ou à la lutte contre l’alcoolisme- à partir du milieu du XIXe siècle.

Enfin, c’est sans déplaisir ni surprise qu’on note que l’abolition fut aussi, du XIXe siècle à nos jours, une cause libérale : Condorcet ou Constant sont là pour le prouver…

Miandra Ratrimoarivony et David Valence

Crédit photo : Flickr,  zigazou76


[1] P. 248

[2] http://www.trop-libre.fr/le-marche-aux-livres/la-mort-en-public

[3] Il déposa par exemple un amendement à la loi de finances pour 1979, portant suppression des dépenses au titre des bois de justice et des crédits du bourreau…

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