Une histoire de goût

Fondapol | 13 septembre 2014

2360982024_335b7d7fc9_oUne histoire de goût

Par @JeanSenié

Dans son dernier livre, Une histoire du bon goût[1], l’historien Didier Masseau s’attelle à un pari audacieux, faire le récit des pérégrinations du « bon goût ». A égale distance entre le snobisme et la vulgarité, le bon goût pourrait être défini d’une première manière – d’ordre essentialiste – comme la capacité de toujours adapter son comportement au contexte. Il est le fruit d’une longue éducation, d’une laborieuse « autocontention », pour reprendre un terme de Stéphane Audoin-Rouzeau[2]. C’est donc à une histoire toujours « sur le fil » que nous invite Didier Masseau.

Le bon goût, entre permanence et changements

Le bon goût, tel qu’il apparaît au Moyen Age dans les traités d’éducation, reste relativement stable jusqu’à l’époque contemporaine, centré autour de certains éléments : « le maintien, la gestualité, la langue, l’intonation »[3]. On remarquera d’emblée que le bon goût recoupe les mêmes domaines que la politesse. Toutefois, il ne serait s’y résumer. D’une part, parce qu’il s’agit d’une idée plus englobante. Une vie régie par le bon goût doit l’être dans ses moindres aspects, de la touche vestimentaire de bon ton à la conversation spirituelle en passant par la démarche réservée. D’autre part, la politesse exige une codification des comportements trop apparente, trop cérémonieuse, alors que le bon goût cherche à disparaître derrière une apparence de naturelle[4].

On comprendra que le bon goût constitue lorsqu’il est pris dans son entière acception comme une philosophie pratique. La lecture croisée des traités d’éducation et de savoir-vivre, des textes littéraires – La Recherche du temps perdu pour n’en citer qu’un, emblématique – et des mémoires permet de saisir toute l’importance du bon goût dans la vie des membres d’une élite.

Il s’agit, en effet, d’un trait constitutif de l’idée même de bon goût, à savoir son caractère discriminant. Le bon goût est l’apanage d’une élite triée sur le volet et qui se reconnaît justement par la maîtrise des codes du bon goût. Une faute de goût permet ainsi de faire la part entre « eux » et « nous ». A cet égard, le bon goût comme mode de sociabilité connait son apogée entre le XVIIIe siècle et le début du XXe siècle.

Le double choc de la démocratie et de mai 68

Le bon goût connait une double remise en question, l’une agissant sur le temps long alors que la seconde est plus éruptive. La première est tributaire de la Révolution française. En abolissant les privilèges le 4 août 1789, les députés de l’Assemblée nationale mettent fin à une société d’ordres. Par là même, ils portent un coup fatal à l’aristocratie et à son étiquette[5]. Les régimes qui se suivent peinent d’ailleurs à rétablit de manière incontesté un bon goût univoque. Comment, en effet, défendre l’idée de comportements discriminants dans une société qui tend à devenir de plus en plus égalitaire comme l’a fait remarquer Tocqueville.

A cette première remise en cause qui traverse toute la période contemporaine, s’en ajoute une plus immédiate, le séisme de mai 68. Les étiquettes et les règles de convenance sont alors remises en question. Concrètement, il devient courant de porter un jean en toute occasion, y compris les évènements importants, de saluer tout le monde de manière uniforme. De surcroît, il devient de bon ton d’être de mauvais goût. Cela veut dire que certaines modes, par exemple le punk, on fait du mauvais goût le bon goût en inversant les valeurs. Or le livre de Didier Masseau permet de bien mesurer que, si ce processus était en gestation depuis la Révolutino française, c’est véritablement mai 68 qui a constitué le catalyseur de toutes ces tendances.

« Malaise dans la civilité ? »

A l’heure de la téléréalité, du rire généralisé, on peut se demander ce qu’il subsiste du bon goût. Si l’auteur ne prend pas parti, préférant se livrer à une description précise du phénomène, il donne néanmoins du grain à moudre aux auteurs du livre Malaise dans la civilité ?[6]. On retrouve notamment cette crainte d’un nivellement des comportements par la vulgarité brillamment exprimé sous la plume d’Alain Finkielkraut dans son dernier livre L’identité malheureuse[7]. La crainte d’une vulgarité soft exprimée par un « salut ça va ? » désormais universel.

C’est donc un livre qui permet de resituer les ruptures dans l’histoire du « bon goût ». Il en montre les critiques, les remises en question mais surtout l’inéluctable déclin. Toutefois, en réhistoricisant la notion il permet d’adopter un regard moins pessimiste sur cette évolution en invitant notamment à prêter attention au changement culturel présent, c’est-à-dire à la demande renouvelée de manifestations du bon goût.

 

[1] Didier Masseau, Une histoire du bon goût, Paris, Perrin, 2014, p. 420.

[2] Stéphane Audoin-Rouzeau , « Norbert Elias et l’expérience oubliée de la Première Guerre mondiale », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, t. 2, n° 106, Paris, Presses de Science po, 2010,  p. 104-114

[3] Didier Masseau, Une histoire du bon goût, Paris, Perrin, 2014, p. 361.

[4] Ibid. p. 44-49.

[5]Ibid., p. 364.

[6] Claude Habib et Philippe Raynaud (dirs.), Malaise dans la civilité ?, Paris, Perrin, 2012.

[7] Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Paris, Stock, 2013.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.