Vers un nouveau Yalta pour le Moyen-Orient

Nicolas Sèze | 28 février 2017

Yalta_summit_1945_with_Churchill,_Roosevelt,_StalinA l’heure où s’amorce l’ère Trump, le monde semble plus instable que jamais. La politique étrangère du nouveau président de la première puissance mondiale sera particulièrement déterminante au Moyen-Orient. Ravagée par les conflits depuis de nombreuses décennies, cette région hautement stratégique déstabilise le monde entier. Cependant, elle pourrait devenir un espace prospère et pacifié, si un nouvel accord de redéfinition des sphères d’influence afin de désamorcer les tensions voit le jour. Le destin du monde y est lié.

Un découpage arbitraire démultipliant les tensions.

Les traités de Sèvres et de Lausanne, signés à la fin de la première guerre mondiale, dépècent l’empire ottoman vaincu et créent une multitude de nouveaux Etats (Syrie, Irak et Liban en tête) placés sous tutelle française ou britannique. Cependant, ce découpage ne tient pas compte des aspirations de nombreuses minorités, tels que les kurdes, ainsi que des clivages confessionnels (principalement entre les deux branches de l’islam, le sunnisme et le chiisme) et ethniques jusqu’alors contenus par la Sublime Porte. Ainsi, les Etats syriens, irakiens et libanais se composent de sunnites, chiites, alaouites et chrétiens, tous opposés pour le contrôle de l’Etat central afin  d’avoir l’ascendant sur les autres groupes confessionnels. Quant aux kurdes, ils voient leur territoire et leur peuple éclatés entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.

Les tensions suscitées par ce découpage aléatoire se concrétisent principalement aujourd’hui dans les guerres civiles syriennes et irakiennes. En effet, les deux grandes puissances régionales (exception faite de la Turquie), l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite, soutiennent les forces de même confession qu’elles pour renforcer leur position. Ainsi, l’Iran appuie militairement le gouvernement chiite de Bagdad et le régime de Bachar el Assad, alaouite (branche du chiisme), quand l’Arabie Saoudite soutient les rebelles syriens sunnites et a indirectement favorisé l’émergence de groupes sécessionnistes sunnites en Irak, qui ont depuis rejoint les rangs de Daech.

La persistance des Etats de la région tels qu’imposés par les forces occidentales ne semble donc plus se justifier. Incapable d’apporter stabilité et paix au Moyen-Orient, l’actuel découpage géopolitique de la région exacerbe les tensions ethniques et confessionnelles et constitue une source permanente de rancœurs et de conflits.

Une ingérence occidentale profondément déstabilisatrice.

Les récentes interventions militaires occidentales, en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003, ont largement contribué à aggraver les dissensions. Installant des gouvernements méprisant les importantes minorités de ces deux pays, les puissances occidentales ont indirectement provoqué la rébellion de ces dernières. De plus, la présence de militaires étrangers, assimilée à une occupation et à une croisade des forces chrétiennes contre les musulmans, a engendré des mouvements de guérillas qui ont conduit à la déliquescence des deux Etats. Aujourd’hui encore, l’opposition entre la Russie soutenant le régime de Damas et les Etats-Unis appuyant les rebelles syriens accroit un peu plus la complexité du jeu diplomatique.

Une balkanisation inévitable ?

Pour tenter d’apporter une solution aux conflits moyen-orientaux, le lieutenant-colonel Ralph Peters, de l’armée américaine, propose dans un rapport en 2006 de morceler les Etats de la région en répondant aux revendications des différentes minorités. Ainsi, chacune d’entre elles se verrait accorder un Etat, comme les kurdes, les sunnites en Irak ou encore les chiites en Syrie. N’ayant suscité qu’un faible écho au sein de l’administration Bush, cette proposition n’en demeure pas moins intéressante.

Ainsi, en Irak  la partie sunnite du territoire pourrait se joindre à la partie sunnite syrienne au sein d’un nouvel Etat. Certes, cet Etat sunnite recouvrerait la majeure partie du désert irako-syrien et détiendrait donc la majeure partie des réserves de pétrole et de gaz, mais afin de pouvoir l’exporter, une coopération avec l’Etat chiite comprenant l’Est de l’actuelle Syrie détenant l’accès à la mer méditerranée serait nécessaire, tout comme une coopération avec l’Etat kurde afin d’acheminer les convois de pétrole vers le nord et l’Asie ; une alliance serait même envisageable avec l’Etat chiite situé dans le sud de l’actuel Irak pour exporter le pétrole par voie maritime vers l’Asie du sud et de l’est et l’Afrique. Ainsi, malgré le démembrement des Etats syriens et irakiens, les nouvelles entités territoriales trouveraient un moyen de s’enrichir mutuellement et de se développer ensemble. Enfin, des accords de libre-échange et de libre circulation achèveraient la mise en place de cette étroite coopération et de cette interdépendance, faisant de la région un nouveau lieu de prospérité économique.

Néanmoins, si une telle balkanisation permettrait effectivement de désamorcer et d’apaiser une grande majorité des tensions actuelles, la proposition originelle de Ralph Peters présente plusieurs limites. Tout d’abord, poussée à l’extrême, la dynamique de division de chaque territoire peut aboutir à la création d’une mosaïque de micro-Etats homogènes, mais dépourvus du moindre poids sur la scène internationale, complexifiant encore plus les relations diplomatiques interétatiques. De plus, la question des critères sur lesquels se fonder pour définir une minorité mérite d’être posée. Ainsi, les choix seraient forcément arbitraires, d’autant plus seuls les occidentaux règleraient une nouvelle fois le découpage du Moyen-Orient. Or, pour ne pas réitérer les erreurs de Sèvres et Lausanne, il est nécessaire que ce redécoupage final revienne pleinement aux Etats directement concernés.

Une grande conférence destinée à redéfinir la donne géopolitique et à délimiter de nouvelles sphères d’influence pour les grandes puissances de la région, comme ce fut le cas pour l’Europe à Yalta en 1945, doit ainsi être envisagé. Réunissant les différents Etats et des délégations représentant les différentes minorités, elle permettrait de bâtir un nouveau Moyen-Orient, et amorcerait l’édification d’une union, d’abord économique puis politique, des Etats de la région. 

Un Moyen-Orient prospère et pacifié n’est pas une lointaine utopie. Durant des siècles, l’Europe a constituée un foyer de conflits qui ont ébranlé le monde, et est aujourd’hui devenue un modèle de coopération et d’entente régionale. Un tel avenir peut donc être envisageable pour le Moyen -Orient. A condition d’un nouveau Yalta.

 

La Fondation pour l’Innovation Politique et le blog Trop-Libre ne s’associent pas au point de vue exprimé ici par l’auteur.
Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.