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Fondapol | 04 février 2011

4.02.2011Emmanuel COMBE, Le low cost, Editions La Découverte, collection Repères, 2011, 126 pages, 9,50 €

On se souvient de la campagne de publicité lancée il y a trois ans par l’opérateur aérien low cost Ryanair mettant en scène le chef de l’Etat et sa future épouse : l’affaire fit grand bruit et la compagnie fut condamnée en justice. Ce type d’événement ne fait qu’illustrer et entretenir l’intérêt et la méfiance que suscite ce secteur chez les pouvoirs publics et les consommateurs. Mais pratiquer l’esbroufe (publicitaire, mais surtout tarifaire…) suffira-t-il à rendre durable le succès des low cost et autres magasins discount ?

Emmanuel Combe[1], professeur d’économie à Paris I et l’ESCP, signe ici un petit ouvrage fort utile – l’un des premiers sur la question, après la publication du rapport Beigbeder (2007) auquel l’auteur lui-même avait largement contribué – analysant le fonctionnement de ce modèle économique qu’il n’hésite pas à qualifier de « progrès technique ».

Le transport aérien, emblème du low cost

Initié aux Etats-Unis par Southwest Airlines aux débuts des années 1970, ce n’est qu’à la fin des années 1980 que le low cost aérien voit le jour en Europe, avec l’irlandais Ryanair et le britannique Easyjet. Leur audacieux pari : proposer des vols identiques ou alternatifs à ceux des majors, à des prix extrêmement réduits. La rentabilité de ce modèle repose essentiellement sur une minimisation des coûts d’exploitation : installation dans des aéroports ou des terminaux secondaires (pour réduire le montant des taxes aéroportuaires), limitation de la flotte à quelques avions identiques et neufs (pour limiter les dépenses de formation de l’équipage), réduction du temps d’escale (pour favoriser le turnover), diminution des services à bord, désormais proposés en options payantes. La croissance du secteur se poursuit avec la déréglementation progressive du ciel et l’essor d’Internet, tant et si bien que ces compagnies à bas coût réalisent aujourd’hui 44% du trafic européen, à égalité ou presque avec les majors. D’autres ont depuis cherché à se placer dans le sillage d’ Easyjet et de Ryanair, mais sans succès : en cause, l’« avantage au premier entrant », ainsi que la crise de 2008-2009.

Deux effets directs du développement du low cost peuvent être dégagés. L’un consiste en une baisse générale des prix (encore que ces compagnies sachent différencier leur clientèle affaire et tourisme, à tel point que le low cost peut devenir high fare…), l’autre en une concurrence accrue sur le marché aérien[2].

Cependant, comme s’empresse de le souligner l’auteur, il est peu probable que les low cost dominent complètement le marché européen au détriment des insiders. Tout d’abord, ces derniers conservent des atouts : la maitrise d’un hub (i.e. d’une plateforme de correspondance), des vols fréquents, un haut de niveau de service, un large portefeuille de destinations. Les majors ont également su mettre en place une stratégie offensive : au-delà des procès intentés pour pratiques anticoncurrentielles, elles font preuve d’un fort mimétisme tarifaire sur les lignes desservies par les low cost, sur les lignes substituables, mais aussi sur les lignes où ces dernières sont absentes, pour prévenir toute entrée. Enfin, certaines majors ont tenté de lancer leur propre filiale à bas coûts. Air France/KLM a ainsi lancé Transavia en 2007 – cette stratégie permettant de capter deux clientèles à la fois sans avoir à baisser le prix du produit initial.

D’Aldi à la Logan : le paradis du « radin-malin » ?

En réalité, le modèle du low cost ne date pas d’hier. Il a d’abord trouvé son application dans la distribution alimentaire. En 1947, dans une Allemagne en proie à la pénurie, les frères Albrecht créent Aldi, les premiers supermarchés hard discount. Oubliés la présentation des produits et le service après-vente, seul compte à leurs yeux l’« acte d’achat ». Les magasins des frères Albrecht sont de petite taille, le nombre de références, de fournisseurs et de salariés est limité, les dépenses de publicité sont quasi nulles. Le modèle devait peu à peu se généraliser et les enseignes se multiplier. Si la part de marché du hard discount s’est assez fortement développée en France jusqu’en 2008, elle connaît désormais un net déclin, depuis que les grands groupes de distribution ont su se repositionner via plusieurs stratégies, à commencer par le mimétisme tarifaire (Carrefour créant par exemple sa propre gamme à bas prix, Carrefour Discount). Les grandes enseignes ont en outre rénové leurs filiales low cost : Casino a accru l’attractivité de LeaderPrice, quitte à en faire un soft discount (ou middle cost).

Peu à peu, le modèle du low cost s’est étendu à d’autres activités dédiées à la consommation des ménages : l’hôtellerie (Formule 1), la banque et l’assurance (Boursorama, ING Direct) – où Internet joue un rôle décisif – et plus récemment la coiffure (Tchip Coiffure…). Quant à l’industrie, le secteur automobile y a été pionnier, avec Renault et sa Logan, lancée au début des années 2000 ; d’abord destinée aux pays d’Europe de l’Est, elle séduisit également les Français et les Allemands. La rentabilité du modèle repose ici encore sur une réduction des coûts systématisée : la production est délocalisée, certes, mais surtout les composants d’autres modèles sont réutilisés, le design est simplifié, les fonctions secondaires sont « optionalisées » et rendues payantes,… Le low cost automobile ne représente cependant en 2009 que 3 % du marché français.

Au fond, à quelles attentes le modèle du bas coût répond-il exactement ? L’auteur identifie de nouveaux comportements de consommation. Que ce soit par substitution, par induction – la forte baisse du prix crée une demande qui ne s’exprimait pas avant – ou par complémentarité, il ressort que la consommation low cost n’est pas réservée aux faibles revenus, mais s’étend aux CSP supérieures « anti-marques », aux jeunes – convaincus par les comparateurs de prix sur Internet,… Etre radin n’est alors plus péjoratif mais synonyme de « malin »…

Controverses

On reproche souvent aux compagnies à bas coût de sacrifier la qualité au profit des prix. En fait, non seulement la diminution de la qualité est largement compensée par la baisse des prix, mais on s’aperçoit que la ponctualité et la sécurité d’une compagnie low cost ne sont pas plus incertaines que pour une compagnie traditionnelle. En revanche, l’information du consommateur est clairement déficiente, en raison du recours intensif à Internet, et ce en dépit des règles européennes relatives aux pratiques commerciales déloyales.

La question de l’emploi ouvre des perspectives plus intéressantes sur le fonctionnement du low cost. On découvre que la qualité de l’emploi est étonnamment élevée dans les compagnies low cost ; si écart de rémunération il y a avec les compagnies traditionnelles, cela tient au faible taux de syndicalisation et à la rémunération à la performance. Quant au niveau de l’emploi, l’auteur rappelle qu’une forte productivité n’a pas d’impact négatif sur le volume d’emplois. Au contraire, les gains du productivité entraînent une augmentation de la demande et donc de l’emploi, créant ainsi un phénomène de « destruction créatrice », identifié en son temps par Schumpeter.

Le développement du low cost rencontre et rencontrera finalement deux limites : le droit du travail, et plus encore… le droit des consommateurs.

[expand title = « En savoir plus »]

Crédit photo : Flick,  Pauls imaging


[1] Emmanuel Combe est l’auteur de la note : Les vertus cachées du low cost aérien (Fondapol, novembre 2010) :

http://www.fondapol.org/etude/1989

[2] Lire aussi la note de David Sraer : Les vertus de la concurrence (Fondapol, septembre 2010) :

http://www.fondapol.org/etude/1944

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