War Game : quand les développeurs imaginent la guerre de demain

Farid Gueham | 13 octobre 2014

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Par Farid Gueham

Plan large sur les premiers rangs de divisions au sol, explosions et effets spéciaux dignes d’un long métrage : l’armée recrute. Fond d’écran camouflage, son des fusils d’assaut, le décor est planté. Il ne s’agit pas d’un jeu vidéo mais du site internet de l’armée française lancé en 2009 «Devenezvousmeme.com». Passée l’introduction, des témoignages de soldats nous plongent dans le concret. On a l’impression d’évoluer dans un jeu vidéo comme « Call of Duty » ou « Modern Warfare ».

Est-ce à dire que l’armée française recherche des développeurs et des geeks ? Pas vraiment. Depuis plusieurs années, les campagnes publicitaires de recrutement de l’armée s’adressent aux jeunes et c’est très naturellement qu’elles s’adaptent et parlent leur langage. Et la campagne ne se limite pas aux écrans télé. Placements commerciaux dans les jeux en ligne. L’Armée de Terre veut s’adresser aux jeunes à travers les médias qui les touchent. Mais attention, la communication de l’armée se défend de vouloir banaliser ou normaliser la violence. « La guerre n’est pas un jeu et c’est pourquoi les messages de recrutement ne s’immiscent que dans les jeux de sport et non dans ceux de guerre » souligne un porte-parole du ministère. Outre atlantique, la démarche commerciale est assumée. Un jeu est dédié à la promotion de l’image de l’armée auprès des citoyens « America’s Army ». Il s’agit d’un jeu vidéo de tir tactique. La première version fut lancée en 2002 par les forces armées des États-Unis afin d’améliorer l’image de l’US Army et d’inciter les gens à s’enrôler. C’est un succès et le jeu est disponible gratuitement pour les utilisateurs de Windows. De nombreuses compétitions internationales sont, par ailleurs, organisées autour du jeu comme la TWL « TeamWarfare League » et la CALEAGUE « Cyberathlete Amateur League ».

Fini de jouer ! Pour les autorités publiques et l’armée, les développeurs sont des stratèges, des préfigurateurs qui aident à préparer la guerre de demain.

Aux Etats-Unis, les développeurs ne sont plus simplement les alliés du marketing recrutés pour redorer le blason d’une armée peu populaire. Ils sont aujourd’hui sollicités pour penser la guerre de demain. “Don’t’ Wait for the Next War”, « n’attendons pas la prochaine guerre », c’est le titre d’un séminaire stratégique de l’Atlantic Council organisé le 22 septembre dernier. Le décor est planté. Le think tank américain « Atlantic Council » et le Centre Brent Scowcroft pour la sécurité internationale ont même annoncé dans un communiqué de presse l’organisation d’un « jeu de guerre » afin d’analyser les interactions stratégiques plausibles entre l’Etat Islamique, les combattants d’ Al Sham et l’armée des Etats-Unis pour les six mois à venir. « The Coming Stalemate » ou « la future paralysie » examine les issues possibles du conflit et dresse des recommandations, des grilles d’analyse à destination de l’administration Obama afin de mener au mieux cette offensive contre ISIS en Iraq et en Syrie. Parmi les participants du War game, on compte des analystes confirmés sur l’Iraq et la Syrie, des membres de thinktanks, des personnels de l’armée de l’air, du corps des marines et de l’armée de terre qui ont récemment servi en Iraq et en Afghanistan.

Deux équipes s’affrontent, une équipe rouge et une équipe bleue. Dirigé par le professeur Bilal Y. Saab, le Scowcroft Center est l’équipe rouge qui représente la coalition de l’Etat Islamique alors que la coalition américaine, l’équipe bleue, est dirigée par Michael S. Tyson, membre de l’Atlantic Council issu du corps des marines. Les conclusions des participants au War Game à l’issue de leur simulation ? Un scénario assez crédible pour les six prochains mois : une paralysie des positions de l’Etat Islamique et de sa coalition avec toutefois la persistance de poches de contrôle sur les territoires transfrontaliers entre la Syrie, l’Iraq et le Liban. Une menace persistante pour la région et de façon plus directe pour les pays occidentaux et leurs intérêts dans la région.

Les développeurs sont désormais crédibles et légitimes auprès des décideurs américains.

L’Atlantic Council a récemment recruté le créateur de l’emblématique jeu vidéo «Call of Duty» pour tenter d’imaginer ce que pourrait être la guerre de demain. Le centre de réflexion a recruté Dave Anthony, membre du studio Treyarch qui a participé à la franchise de jeux à succès ayant rapporté des milliards de dollars de revenus. Dave Anthony devra diriger un groupe d’écrivains et de producteurs chargés de plancher sur la guerre du XXIe siècle. L’initiative de l’Atlantic Council a débuté la semaine dernière. A l’origine du projet, Steven Grundman, un ancien du Pentagone, aujourd’hui membre de l’Atlantic Council, impressionné par le scénario et les projections du jeu vidéo préféré de son fils. Ce jeu n’était autre que le dernier opus de la série Call of Duty, baptisé Black ops « Opérations clandestines ». Dave Anthony est donc chargé de moderniser les présentations et de proposer des vidéos très réalistes aux membres du thinktank. L’une d’entre elles proposera de réfléchir à une attaque contre la ville de Las Vegas. Selon le développeur, « il faut se préparer à des attaques toujours différentes et anticiper ce que pourrait être le prochain 11-Septembre». Une mission prise très au sérieux par le développeur et par les représentants de l’armée américaine.

Et pourquoi pas un think tank réunissant l’armée, des développeurs et des chercheurs en France ? Rien n’est moins sur.

L’armée française reste méfiante : un jeu vidéo, ce n’est pas la vraie vie. Si les réseaux intégristes et terroristes ont bien saisi l’intérêt des réseaux sociaux et des jeux en ligne pour recruter, l’administration reste frileuse. Le brainstorming entre ministère de la défense et les développeurs n’est donc pas pour demain. La lutte contre les réseaux terroristes sur internet ne saurait se limiter à la censure des réseaux sociaux. Le travail de compréhension, d’analyse et de préfiguration qu’entament les thinktanks américains manque cruellement en France. A la « DICOD », le service d’information de l’armée, on aborde le sujet des jeux vidéo avec précaution et l’on estime qu’il y a déjà eu suffisamment de communiqués sur le sujet. La direction reconnait qu’il n’y a pas vraiment de spécialiste de la question et que l’armée française n’utilise pas les jeux vidéo, ni dans le recrutement, ni dans la formation, ni sur le plan opérationnel. La guerre, c’est une affaire sérieuse, trop sérieuse pour les développeurs. A chacun son métier… Game over.

Crédit photo : Shai Barzilay

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