« Depuis Saint-Simon, du positivisme comtien et du marxisme jusqu’aux idéaux gestionnaires contemporains (ceux de la gestion des ressources humaines, notamment), court la même idée de soumission de la règle juridique à la rationalité scientifique et technique. Cette soumission s’exprime dans l’incorporation à l’ordre juridique d’un nombre toujours croissant de normes ou de concepts issus de la technologie ou des sciences économiques et sociales ». Ces propos d’Alain Supiot trouvent à s’illustrer dans l’intitulé même de cette étude. Car l’efficience est une notion qui relève habituellement des disciplines économiques, et qui est employée ici en matière juridique.Elle renvoie aux travaux de Vilfredo Pareto sur l’équilibre ou optimum, selon lequel une allocation des ressources est efficiente s’il est impossible de trouver une autre allocation qui améliorerait le sort d’une personne sans pour autant dégrader le sort d’une autre ; elle renvoie par extension aux intuitions d’Adam Smith sur la main invisible, selon lequel l’équilibre obtenu par des marchés parfaitement concurrentiels est efficient quand le prix établi au coût marginal par les entreprises rejoint l’avantage marginal attendu par les consommateurs.
Or ces équilibres sont multiples dans la théorie, ce qui appelle des jugements de valeur sur l’importance de leurs utilités relatives ; or ces équilibres théoriques sont distordus dans la pratique, ce qui tient aux imperfections de la concurrence, aux effets externes, aux marchés manquants, aux priorités sociales. L’efficience n’a donc de substance qu’en relation avec la réalité d’une part, et avec l’équité d’autre part : elle doit conduire à la définition d’optimums de second rang ; elle doit aboutir à des choix entre les différents équilibres déterminés. Par conséquent, s’inquiéter de l’efficience des normes juridiques revient à s’interroger sur l’allocation rationnelle et optimale des instruments juridiques au service des questions politiques à traiter, tout en rappelant aux gouvernants que leur revient la tâche de poser en équité des jugements de valeur sur les priorités politiques à définir et sur les moyens juridiques de les aborder.

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