L’affaire du lundi de Pentecôte, qui semble avoir stupéfait nombre de nos partenaires européens, illustre en fait à merveille le phénomène majeur dont il sera question dans cette Lettre : l’émergence d’un nouvel impératif juridique, l’efficacité de la norme, et les conditions techniques de réalisation de cet impératif : comment rendre une règle de droit efficace ?Pour revenir au lundi de Pentecôte 2005, ou plus exactement à la loi, constamment mise en avant par le Premier ministre, qui en a fait une « journée de solidarité » non rémunérée pour les salariés, nul doute qu’il s’agit bien d’une règle légitime. Légitime dans sa forme, puisque la loi du 30 juin 2004 « relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées » a été régulièrement adoptée par la représentation parlementaire démocratiquement élue. Mais cette loi est aussi légitime au fond, nul ne pouvant contester l’utilité des objectifs visés – améliorer la prise en charge des personnes dépendantes à travers une « solidarité active » – ni leur conformité à l’intérêt général. À cet égard, le Premier ministre avait donc parfaitement raison d’exiger que « la loi, votée par le Parlement, soit appliquée par tous : c’est une pratique républicaine ».
Mais voilà : il ne suffit pas, il ne suffit plus qu’une règle soit légitime, juste, ni qu’elle ait été adoptée dans les formes juridiquement requises par les autorités compétentes. Il faut encore qu’elle soit efficace, ce qui implique en particulier qu’elle soit correctement et effectivement appliquée par ses destinataires ; et pour cela, il faut qu’au préalable ces derniers l’aient jugée acceptable. Ce que les théoriciens du droit appellent classiquement l’effectivité – le fait que les prescriptions énoncées dans une norme soient vraiment respectées – est à la fois un aspect et une condition essentielle de son efficacité, puisqu’une règle mal appliquée sera par définition inefficace.
Certes, il a toujours existé, dans toutes les branches du droit et à tous les niveaux de la hiérarchie des normes, des règles ineffectives, car perçues par leurs destinataires comme inapplicables, inadaptées ou inopportunes. Mais une telle situation, si elle n’est pas nouvelle, paraît aujourd’hui encore plus inadmissible que par le passé, encore plus préjudiciable à l’autorité de l’auteur de la règle et à la crédibilité globale du système juridique. Les normes d’origine étatique peuvent d’ailleurs d’autant moins se permettre d’être inefficientes qu’elles se trouvent désormais confrontées à une concurrence polymorphe, notamment avec des règles européennes ou locales, en vertu du principe de subsidiarité.
Or, précisément, c’est exclusivement en fonction de considérations d’efficacité que le principe de subsidiarité attribue des compétences et des pouvoirs à tel niveau ou à tel autre, l’objectif étant de permettre au niveau le plus efficace de prendre la décision. Mais alors, comment parvenir à assurer à la règle de droit une certaine efficacité ? Là encore, la loi du 30 juin 2004 instituant une journée de solidarité nous laisse entrevoir quelques pistes intéressantes.
Pour rendre une norme efficace, on pourra intervenir à deux moments successifs, en amont de son édiction, puis en aval de celle-ci.
En amont, lors de son élaboration, il demeure indispensable d’éviter des lois trop nombreuses, au contenu trop général, aux prescriptions obscures, incertaines ou exagérément complexes : nul n’est censé ignorer la loi, certes, mais à condition qu’elle-même réponde aux « objectifs à valeur constitutionnelle » d’accessibilité et d’intelligibilité. En outre, il semble aujourd’hui plus indispensable que jamais d’associer, autant que faire se peut, les futurs destinataires de la règle à son élaboration : une pratique de plus en plus courante en droit du travail, mais qui semble avoir été quelque peu négligée en l’espèce – peut-être par souci de donner la réponse la plus rapide possible à un problème urgent. Une insuffisante concertation qui explique sans doute les sondages massivement hostiles à cette mesure et, en définitive, le comportement d’un pourcentage notable des salariés. De nos jours, qu’on le veuille ou non, concertation et négociation s’avèrent souvent indispensables à l’efficacité de la norme – comme on l’a déjà souligné, dans d’autres travaux de la Fondation pour l’innovation politique, à propos du service garanti.
Mais il ne suffit pas d’agir en amont, lors de l’élaboration de la règle ; il faut également agir en aval, une fois cette règle mise en application, et notamment en instaurant des procédures d’évaluations ex post, qui permettront, par la suite, de retoucher les dispositions légales et de mieux adapter le dispositif à la réalité. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le Premier ministre a chargé une mission, présidée par le député-maire d’Antibes Jean Leonetti, d’évaluer les résultats de cette « Journée de solidarité 2005 » afin de pouvoir, sur cette base, redéfinir les modalités des prochaines. D’emblée, le responsable de la mission a d’ailleurs souligné qu’il faudrait sans doute envisager un traitement plus souple de la question, et évoqué la possibilité de propositions alternatives : des propositions plus concertées, plus négociées et donc mieux acceptées, et plus efficaces.
Et l’on en revient à notre point de départ : désormais, on ne peut plus se permettre de rester fermement campé sur une règle, si légitime soit-elle. Lorsque celle-ci ne produit pas, ou ne produit plus, pour une raison ou pour une autre, les effets escomptés, il est indispensable d’en tenir compte, et de la modifier. Aujourd’hui, l’efficacité est devenue un impératif et un enjeu majeur, qui devrait conduire, à terme, à repenser et à réformer les modes de production des règles.

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