Le consommateur et le citoyen face à la croissance verte

Face au krach écologique annoncé par certains pour l’horizon 20301, sommes-nous prêts à changer en profondeur nos habitudes occidentales de consommation ? Allons-nous être capables de remettre en cause notre mode de vie pour le bien de la planète ? En pleine crise économique mondiale, la question d’une telle disponibilité dans l’opinion se pose avec une acuité renouvelée. La réalité du porte-monnaie n’évincerait-elle pas trop aisément les attraits d’un monde durable ? Stéphane Truchi Ce « grand écart » entre les aspirations durables du citoyen et les appétits du consommateur constitue le thème de la table ronde animée par le journaliste Arnaud Ardoin (LCP) et présentée par le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié. Cette table ronde réunit divers spécialistes tels que Stéphane Truchi (président du directoire de l’IFOP), Elizabeth Pastore-Reiss (fondatrice et directrice d’Ethicity), Geneviève Ferone (directrice développement durable de Veolia Environnement) ou encore Valérie Lecasble (vice-présidente de TBWA Corporate). Matthieu Orphelin, en tant que chef du service observation, économie et évaluation de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise et de l’énergie (ADEME) apporte un éclairage institutionnel qui enrichit le panel.
À l’approche du sommet de Copenhague, dont beaucoup craignent déjà qu’il ne conduise qu’à des déclarations de bonnes intentions, il semble pertinent de s’arrêter un instant pour décrypter la réalité du sentiment environnemental au sein de la population française en vue d’une révolution comportementale nécessaire à la conversion de la société civile au principe écologique.

Prise de conscience des citoyens à l’égard de l’impératif climatique ?

Une récente enquête de l’IFOP évoquée par Dominique Reynié démontre que les questions les plus importantes demeurent aux yeux des Français de plus de 18 ans le chômage et la santé. Les préoccupations environnementales sont donc loin de figurer au premier plan, ce qui confirme l’inexistence de la « vague verte » lors des dernières élections européennes2.
Pour autant, la progression de la proportion de Français qui connaissent le développement durable suit un rythme soutenu, de 49 % en 2005 à 89 % de la population en 2009. Néanmoins, Stéphane Truchi, prolongeant les propos de Dominique Reynié, relève un décalage entre le déclaratif et le comportemental. La conscience de l’impact humain sur le climat n’engage que rarement les sondés à agir concrètement.
Par exemple, les jeunes de 18 à 24 ans représentent la tranche d’âge la plus emblématique de ce phénomène. Très concernés par le réchauffement climatique, ces surconsommateurs d’énergie ne semblent pas prêts à restreindre leurs besoins, tandis que les tranches plus âgées paraissent au contraire être plus responsables et en attente d’informations.

Reste le problème, extrêmement délicat dans une conjoncture économique difficile, du pouvoir d’achat des Français. Le « panier vert » de la ménagère ne dépasse pas les 5 euros par an ! En ce sens, Valérie Lecasble note à juste titre que seuls 12 % des Français sont prêts à accepter de payer 10 % plus cher des produits écologiquement garantis. Le risque serait de voir se creuser une fracture socio-écologique. Matthieu Orphelin s’inquiète d’ailleurs du fait que plus d’un quart des personnes sondées et appartenant aux catégories les moins aisées n’ont jamais entendu parler du Grenelle de l’environnement.
Geneviève FeroneDans un élan d’optimisme raisonnable, la majorité des intervenants s’accorde tout de même à dire que la prise de conscience des citoyens est bien réelle. La « schizophrénie » actuelle de ceux-ci consistant à cantonner leurs aspirations durables au domaine de l’utopie s’expliquerait, selon Geneviève Ferone, par la crise – qui aurait un effet ralentisseur sur l’évolution des comportements du consommateur. La réconciliation du citoyen et du consommateur est une tendance forte et inéluctable de notre société. Mais cette révolution des mentalités enclenche un nouveau type de consommation, auquel les acteurs de la vie économique ne semblent pas tous préparés.

Dominique Reynié et Valérie Lecasble

||

Une révolution des mentalités à double tranchant

La sensibilité des citoyens-consommateurs à l’égard du prix induite par la crise semble provoquer un phénomène à double détente, explique Stéphane Truchi. En effet, si le coût des biens augmente, les consommateurs deviennent plus exigeants envers les marques arborant une couleur verte. Face à la méfiance accrue des citoyens, les entreprises sont aujourd’hui dans l’obligation d’apporter des preuves tangibles de leurs efforts pour contribuer au développement durable, en évitant soigneusement le greenwashing3, qui écœure singulièrement les consommateurs, comme le précise Valérie Lecasble.
Une sorte de réciprocité paraît donc être instamment sollicitée par les consommateurs du xxie siècle. Elizabeth Pastore-Reiss remarque à ce propos que l’ère de la consommation éthique et intelligente débute. De grands groupes tels que Danone ou encore Nestlé ont vite compris le tournant et figurent aujourd’hui parmi les pionniers du marketing durable4. En revanche, d’autres, en particulier dans les secteurs cosmétiques, sont très en retard – ce qui n’est pas sans conséquences sur leur chiffre d’affaires.
Aussi, le développement durable, véritable notion tentaculaire, ne se restreint pas seulement à la consommation pure et simple, mais établit un lien étroit avec l’humain dans toutes ses dimensions (respect de sa dignité, de ses droits, etc.). Les normes revendiquées par les citoyens-consommateurs seront donc amenées à englober à la fois la qualité du produit et de la production. Le concept de bien-être s’agrège peu à peu à l’aspiration écologique. Ainsi, derrière le désir d’« acheter mieux », partagé par 77 % des Français, se dissimulent nombre de nouveaux défis, et pour la société civile contemporaine et pour les entreprises, confrontées à une demande réclamant alors une part du biopouvoir.

Elizabeth Pastore-Reiss

Les défis de demain

Selon Geneviève Ferone, la culpabilisation et l’infantilisation médiatiques du consommateur ont fait leur temps. S’appuyant sur les derniers résultats du baromètre 2009, Matthieu Orphelin explique qu’il est aujourd’hui indispensable d’aiguiller dans leurs achats les consommateurs qui déclarent à 60 % éprouver des difficultés à se repérer parmi la profusion de labels homologués.
Les Français sont prêts à investir dans le vert à condition d’être encouragés et récompensés. Le succès des expériences mises en place par le gouvernement sous l’impulsion du Grenelle, comme le bonus-malus ou encore l’éco-prêt à taux zéro, démontrent l’efficacité des mesures incitatives.
Par ailleurs, la communication focalisée sur le plaisir individuel du consommateur doit s’adapter à ces nouvelles exigences. Elizabeth Pastore-Reiss ouvre alors plusieurs pistes de réflexion communicationnelle pour contourner le problème du prix, qui demeure « anxiogène ». Il s’agit d’abattre et de reconstruire par une pédagogie courageuse tout un système de représentations – voire un nouvel imaginaire. Il devient nécessaire de redonner du sens à l’achat. Ce dernier doit correspondre au nouveau statut de l’image de soi, c’est-à-dire connectée, solidaire, articulée autour de la notion du « moi-nous ».
||

Un changement de modèle plus qu’une table rase

Matthieu Orphelin La consommation même citoyenne a donc un bel avenir devant elle. La croissance verte libère en réalité des ergies nouvelles insoupçonnées. Le spectre de la décroissance appartient définitivement à la « pensée magique » selon l’expression de Geneviève Ferone. Quant à Matthieu Orphelin, il plaide pour une « décroissance sélective » en développant l’idée qu’un changement radical est de toute façon inévitable, mais qu’il produira à son tour des laissés-pour-compte, auxquels les pouvoirs publics devront consacrer leur attention.
La reconversion du modèle occidental est donc en marche. En conclusion, Geneviève Ferone invite l’auditoire à « passer le chas de l’aiguille ».  À partir d’une vision restrictive et contraignante, les orateurs, chacun à leur manière, ont réussi à démontrer les raisons de croire au futur dynamisme d’une croissance verte libératrice d’énergies et d’innovations.


Notes

1 Geneviève Ferone, 2030 : Le krach écologique, Paris, Grasset & Fasquelle, 2008.

2 Corinne Deloy, Dominique Reynié et Pascal Perrineau , Élections européennes 2009 : analyse des résultats en Europe et en France, Paris, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2009.

3 C’est-à-dire une communication axée de manière outrancière sur des arguments uniquement écologiques.

4 Elizabeth Pastore-Reiss, Le Marketing durable, Paris, Eyrolles-Éditions d’organisation, 2006.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.