L’instauration d’une dose de proportionnelle aux élections législatives faisait déjà l’objet d’un large consensus avant la dernière présidentielle. A l’issue de législatives marquées par un taux d’abstention historique et un net recul des extrêmes, l’idée s’impose désormais comme une évidence.Longtemps, sans nier les qualités du scrutin proportionnel, le fait qu’il assure à chaque parti une représentation plus juste, car en rapport avec sa force numérique effective -, on l’a condamné au nom du réalisme politique. Conforme à l’idéal, ce mode de scrutin entraînerait en effet l’émiettement mécanique de la représentation parlementaire, empêchant ainsi la constitution de majorités cohérentes et stables. Vice rédhibitoire à une époque où l’efficacité de l’autorité est perçue, à juste titre, comme la condition même de sa légitimité.
Or, un tel reproche paraît de nos jours obsolète, pour une raison fort simple : aujourd’hui, ce n’est plus le Parlement qui gouverne, mais l’exécutif, dominé en France par un président de la République qui, élu au suffrage universel direct, échappe en toute hypothèse aux effets du scrutin proportionnel.
Ce dernier ne pourrait porter atteinte à l’efficacité de l’autorité que s’il influait sur la détermination des responsables de l’exécutif – ce qui n’est pas le cas. Limité à une Assemblée nationale dotée, pour l’essentiel, d’un rôle de contrôle et d’expression, il ne présente plus aucun des risques que l’on pouvait craindre à l’époque lointaine où les chambres concentraient le pouvoir de décision.
Non seulement le risque a disparu, mais la fonction tribunicienne que revendique désormais le Parlement serait mieux assurée par une Assemblée élue au scrutin proportionnel, et reflétant plus exactement, dans sa composition, la variété de l’opinion publique.
Lassitude et fatalisme
Et c’est ici que l’on doit prendre en compte la leçon des dernières élections législatives – marquées par une abstention qui a atteint à deux reprises un niveau inégalé, en France, pour un scrutin national. Certains ont pu gloser sur les raisons de ce décrochage, sur le fait qu’après la remarquable participation à la présidentielle, près d’un quart des inscrits aient renoncé à s’exprimer : lassitude, fatalisme, incompréhension…
Mais ce qui explique ce recul spectaculaire, c’est aussi, d’une part, le manque d’offre électorale plausible – il y a certes beaucoup de candidats, mais on sait qu’ils n’ont aucune chance dans le cadre du scrutin majoritaire -, et d’autre part, le sentiment de l’inutilité du Parlement : l’impression que l’Assemblée n’est qu’une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Pourquoi retourner voter, alors que celui-ci est en place, et en ordre de bataille ?
Instaurer une dose mesurée de proportionnelle permettrait d’agir sur ces deux plans, en élargissant l’offre électorale et en ouvrant l’Assemblée à d’autres sensibilités que celles qui bénéficient, de façon désormais monopolistique, de la mécanique du scrutin majoritaire. L’ouvrir, et accentuer ainsi cette fonction tribunicienne qui, dans le cadre des Etats modernes, appartient en propre au Parlement.
En outre, instillée en quantité raisonnable, la proportionnelle permettrait de nuancer un bipartisme artificiel qui ne correspond ni à la culture française ni à la réalité du paysage politique. Elle le permettrait d’ailleurs sans aucun risque, le déclin des extrêmes, confirmé dès le premier tour de ces législatives, vidant une telle proposition de tout péril.
Sans risque de se tromper, déclarait Pierre Joxe lors d’une table ronde organisée en 2006 par la Fondation pour l’innovation politique, on peut prédire « la fin du système majoritaire », et l’adoption de cette « respiration démocratique »que constitue la représentation proportionnelle.
Jamais les conditions ne seront aussi propices à une telle réforme que durant les mois qui viennent, et jamais celle-ci n’a été si manifestement indispensable.
Aucun commentaire.