Le web et l'opinion : Internet et le mythe de l'agora

Depuis le début des années 2000, Internet n’a cessé d’être de plus en plus présent dans notre quotidien et continue de se démocratiser encore et encore. Sensible à cet outil dont les potentialités semblent infinies, la Fondapol propose d’étudier l’impact de ce nouveau moyen de communiquer et d’échanger sur la démocratie. Internet réalise-il enfin l’utopie séculaire selon laquelle chaque citoyen, de quelque extraction qu’il soit, doit avoir la possibilité de participer à la prise de décision en donnant son avis, et ce, au même titre que tous les autres ?Cette question constitue le thème de la table ronde animée par le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié qui a réunit divers spécialistes tels que  Jean Chiche (chercheur au CEVIPOF, spécialiste en comportement électoral et en analyse géométrique des données), Emery Doligé (digital strategist, spécialiste en positionnement de sites institutionnels et d’entreprise, créateur du blog « Choses vues »), Pascal Froissart (maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l‘université Paris-VIII, chercheur au laboratoire Communication et politique, spécialiste de la rumeur et des nouveaux médias), Bruno Lestienne (fondateur de leblog2roubaix.com, membre administrateur de l’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale, ADELS), Frédéric Micheau (directeur adjoint du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l‘IFOP), Natalie Rastoin (directrice générale du groupe Ogilvy), Maurice Ronai (ancien délégué national du Parti socialiste aux nouvelles technologies), Thierry Solère (en charge de l’économie numérique au sein de l’équipe nationale de l’UMP, responsable de la webcampagne de Nicolas Sarkozy lors de la campagne de 2007, premier maire adjoint de Boulogne-Billancourt).
Les nouvelles formes de production, de diffusion et de partage de l’information sur Internet semblent jeter les bases d’un nouvel espace public. Au moment où le Web a pris un tournant participatif à travers les blogs et les réseaux sociaux, on peut se demander si une nouvelle forme d’opinion publique n’est pas en train d’émerger. Est-il alors possible d’en prendre la mesure ? 

Peut-on mesurer l’opinion grâce au web ?

La pénétration d’Internet dans les foyers des Français offre une opportunité nouvelle pour les instituts de sondage dont la mission est de prendre la température de l’opinion publique. Si Internet a favorisé l’étude des pratiques médiatiques des Français, les a-t-il pour autant modifié ? Telle est la question à laquelle tente de répondre Jean Chiche, chercheur au CEVIPOF, spécialiste de l’analyse des données électorales.

Frédéric Micheau évoque en effet une normalisation des comportements politiques entre le « offline » et le « online » depuis l’élection présidentielle de 2007. Il démontre ainsi comment les études de l’Ifop ont permis de constater une véritable convergence entre l’opinion des internautes et celle des Français.

 ||

Dans la pratique : comment faire d’Internet un instrument de la démocratie ?

A l’ère du web 2.0, comment ceux qui font de la politique envisagent et utilisent Internet ? Quelles sont les conséquences des réseaux sociaux dans la pratique politique du web ? Peut-on faire campagne sur Internet ? Thierry Solère évoque son expérience d’élu et de responsable de webcampagne.
Premier maire adjoint de Boulogne-Billancourt, Thierry Solère constate que l’expression citoyenne sur Internet bouleverse le modèle institutionnel traditionnel de la démocratie représentative. Internet nous rend-il tous égaux ? La webculture égalitariste parvient-elle à se manifester dans la pratique et est-elle adaptée à l’exercice de la démocratie ?

De son côté, le bloggeur Emery Doligé propose d’étudier le cas réseaux sociaux mis en place par les partis politiques. En prenant notamment l’exemple de la Coopol (réseau social destiné aux militants de gauche), il entend ainsi montrer comment certains partis sont parvenus à faire du web un outil affectif, développant ainsi une véritable communauté autour de leur projet. Quand le réseau social devient une puissante arme politique…

Mais au-delà même du militantisme politique, le web propose un espace nouveau pour la démocratie locale et les initiatives citoyennes. Exemple avec le site www.leblog2roubaix.com présenté par Bruno Lestienne. Objectif : rendre l’action citoyenne accessible aux habitants de la ville de Roubaix et concrétiser l’expression démocratique en favorisant la présence sur le terrain.||

Internet permet-il l’émergence d’une opinion éclairée ?

En introduction de cette table ronde, Dominique Reynié rappelait que pour Platon déjà, une cité ne pouvait excéder 5040 citoyens au risque de sombrer dans le désordre. Comment dans ce cas, intégrer un nombre important de citoyens dans la prise de décision sans justifier une certaine exclusion ? Il évoquait alors de quelle manière le web est une technologie ayant opéré la « réalisation d’une promesse démocratique dont personne n’aurait pensé qu’elle serait à ce point satisfaisante ». En effet, en France les utilisateurs de réseaux sociaux s’évaluent actuellement à près de 15 millions. Mais alors, en étant nombreux, peut-on être intelligents ?
Volontiers outil de communication et de partage, Internet reste un média, au même titre que la presse, la télévision et la radio. De cette manière, il participe à l’élaboration d’une relation complexe entre l’information et l’opinion. En étudiant le cas de la rumeur, Pascal Froissart, explique les trajets empruntés par l’information dans le processus de formation de l’opinion et le rôle d’Internet dans sa diffusion. Il reprend ainsi la théorie de Lazarsfeld afin de montrer que, bien loin de suivre un parcours chaotique, l’information emprunte des réseaux qui se chargent de la thématiser avant de la relayer.
Dans le prolongement des propos de Pascal Froissart, Frédéric Micheau utilise les résultats des études menées par l’Ifop afin d’exposer la manière dont les internautes mènent des activités politiques sur le web. Ces pratiques vont-elles dans le sens d’une réalisation du mythe de l’agora ? Les internautes créent-ils du débat ? Frédéric Micheau esquisse une réponse en avançant le concept d’« exposition sélective ».

Pour répondre à la question liminaire posée par Dominique Reynié, « Internet est-il en mesure de réaliser le mythe de la démocratie permanente ? », Frédéric Micheau décrypte les limites du web. La toile permet-elle la structuration d’une opinion claire, efficace et exploitable ?

En conclusion, Natalie Rastoin évoque son expérience de communicante pour proposer une interprétation en termes quasiment ontologique : c’est en réalité la nature même d’Internet qui serait problématique. « Média de la recommandation » favorisant le schéma narratif, le web n’ouvrirait pas un espace de débat et de structuration d’une pensée nouvelle mais serait plutôt le lieu même de la confortation.
Peut-on alors envisager de remédier à ce travers ? Dans le prolongement des propos de Frédéric Micheau, Natalie Rastoin évoque le rôle essentiel des intermédiaires dans l’élaboration d’une opinion et d’un discours collectif cohérent. Après l’échec de l’utopie consistant à « s’organiser sans organisateurs », elle appelle à l’émergence d’une figure nouvelle capable de canaliser les flux d’idées émanant des internautes. Son nom: « l’intellectuel du numérique ».

||

Discussion

Pour clore cette table ronde, un débat permet aux auditeurs de poser leurs questions aux intervenants. Dominique Reynié en profite pour rappeler que la question rapport entre web et démocratie appelle à des configurations nouvelles en termes de sociologie politique. Il revient ainsi sur l’interrogation « Internet nous rend-il tous égaux ? »

Enfin, en réponse au constat proposé par Natalie Rastoin quant à la nécessité d’un intellectuel numérique, le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique évoque le problème nouveau qu’est celui de la posture des élites face au trop plein d’intelligence qui « échoue » sur le web. 

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.