Mercredi, pour la première fois, des hélicoptères privés ont participé au défilé aérien du 14 juillet. Les deux appareils EC120 appartiennent à la société Helidax, une entreprise qui assure la formation des pilotes sous contrat avec le Ministère de la Défense. Alors que l’on comptait un employé civil sous-traitant pour 50 combattants lors de la Guerre du Golfe de 1991, le ratio a atteint un pour 10 lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine en 1996. Selon la Private Security Company Association of Iraq, 30.000 personnes travaillaient en Irak en 2008 | pour 40 sociétés militaires privées, formant ainsi le deuxième contingent de la coalition internationale, après l’armée américaine mais avant l’armée britannique. Depuis quelques années, l’émergence de ces sociétés sous-traitantes incite à s’interroger sur leur rôle, et de façon plus générale pose la question de la privatisation des activités de défense.
Depuis les années 1990, les puissances militaires majeures ont eu recours à des réductions du format de leurs armées, à fin d’optimiser les coûts engendrés dans le cadre de la redéfinition de leur stratégie de défense et de la professionnalisation des troupes. Dans le même temps ont émergé de nouvelles menaces, comme la piraterie, le terrorisme international ou la multiplication de conflits régionaux alors que les dangers aux frontières ont totalement disparus. C’est dans ce contexte que sont apparues des entreprises spécialisées dans les fournitures de services aux armées et de prestations de sécurité en milieu à fort risque. Proposant un éventail très large de services, incluant le renseignement, le conseil tactique ou encore l’assistance opérationnelle tout en rejetant le terme de mercenaire, ces Société Militaire Privées (dénomination anglaise Private Military Company) font, depuis quelques années, couler beaucoup d’encre. Les nombreux scandales et la multiplication des incidents les impliquant posent, outre la controverse autour de leur légitimité à user de la coercition, de nombreuses questions quant à leurs missions, leurs statuts juridiques et les cadres de coopération avec les armées étatiques.
Dans une logique de rationalisation budgétaire, le recours à la sous-traitance permet de recentrer les forces armées sur leurs missions premières, l’assistance et le combat, tout en bénéficiant d’une réduction des charges budgétaires comme les retraites ou les coûts d’entretien et de casernement des troupes. C’est la raison pour laquelle des missions annexes, comme la logistique, la sécurité des sites mais aussi le conseil tactique et l’entraînement des troupes sont confiés par certains gouvernements à des sociétés militaires ou à des sociétés de sécurité privées. Pour les pays aux armées peu qualifiées, c’est un moyen de profiter du savoir-faire de professionnels. C’est la raison pour laquelle la garde nationale saoudienne est entraînée depuis 1975 par le groupe Vinnell (filiale de Northrop Grumann), 120 centres d’entraînement de l’armée de Sa Majesté sont gérés par Landmark Support Service (filiale du groupe Halliburton) moyennant 1 milliard de dollars tandis que le Pentagone a déjà transféré, pour un montant dépassant les 1,4 milliards de dollars, la sécurité des convois militaires, la protection des bases et certaines missions de renseignements en Irak. Le phénomène dépasse la simple sphère d’influence anglo-saxonne puisque la Douma a récemment donné le droit aux entreprises Gazprom et Transneft de lever des armées non gouvernementales afin de protéger leurs infrastructures et leurs gisements. De même, la firme française Secopex, basée à Carcassonne, a obtenu en 2008 de la part des autorités somaliennes un contrat exclusif portant sur la sécurisation des eaux territoriales du pays, menacées par la piraterie ainsi que la formation de la garde présidentielle locale. Le secteur de la sécurité en milieu à risque propose aussi des prestations au secteur privé, comme la sécurité d’installations ou la mise en place de gardes armées à bord de navires de commerce pour assurer leur protection.
Ces entreprises, composées en grande majorité de reconvertis du secteur régalien de la sécurité, anciens militaires, ingénieurs, policiers ou agents de renseignement, agissent pour l’instant en quasi-absence de cadre juridique. De fait, la plupart des Etats se sont dotés de législation réprimant le mercenariat, dont la France avec la loi d’avril 2003 mais celles-ci sont inadaptées pour régir des sociétés commerciales ayant pignon sur rue et ne prenant pas part directement aux combats. Seule exception, les Etats-Unis, où le secteur de l’assistance militaire privée a pris une ampleur considérable. Le recours à des sociétés militaires privées par le gouvernement y est encadré par la Contractor Accountability Bill et l’agence de régulation qu’elle a créée, la Defense Trade Office Control. Cette autorité fournit des licences et veille à l’application de la directive 3020.4 (Contractor Personnel Authorized to Accompany the US Armed Forces) qui fournit un statut spécifique aux employés des SMP et définit leur règle d’engagement au coté des forces armées. Depuis 2007, un amendement de l’Uniform Code of Military Justice voté par le Congrès place les sociétés militaires privées sous juridiction militaire et permet la comparution de leurs employés devant une cour martiale, comme s’ils s’agissaient de militaires professionnels.
Les discussions autour de l’apparition de ce type d’activité entrepreneuriale sont souvent polémiques, certains voulant favoriser leur développement, d’autres souhaitant leur interdiction en arguant du monopole de l’Etat à user de la violence légitime. Hors, face à un secteur d’activités aussi hétérogène qui s’étend de la sécurité à la logistique et dont le développement au niveau international semble assuré par la multiplication de la demande d’assistance militaire privée, il semble indispensable de leur créer un cadre légal, pour prévenir toute dérive, en complément d’un cadre de coopération opérationnelle avec les forces armées. Les prérogatives de ces firmes seraient ainsi définies, limitées et contrôlées par la loi, ce qui éviterait aux établissements français, comme Secopex, de devoir former leur personnel en Europe de l’Est faute d’autorisation pour le faire sur le sol national comme c’est le cas actuellement. L’inertie qui caractérise le débat sur les SMP en France pourrait l’obliger, à moyen terme, à missionner des sociétés anglo-saxonnes pour préserver ses intérêts ou ses ressortissants hors des frontières, faute de partenaire disponible dans l’Hexagone. Dans ce cas, les activités de défense sont non seulement susceptibles d’être privatisées, mais aussi d’être dénationalisées, c’est-à-dire confiées à une entreprise ressortissante d’un autre pays que celui pour le compte duquel elle agit.
A.M
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