Enseignement supérieur : le paradoxe suédois

Anna Stellinger, Directeur « Economie et Société », présente, dans un entretien paru dans La Lettre de l’Education. L’hebdomadaire des professionnels de l’éducation (Le Monde. La Lettre internationale, supplément du n°527, 19 juin 2006), le paradoxe de l’enseignement supérieur suédois, à la fois sélectif et égalitaire. Le système suédois associe ainsi un important financement de l’Etat à une grande autonomie des universités, une sélection des étudiants à l’entrée et une mise en concurrence des établissements d’enseignement supérieur.

En quoi le système d’enseignement supérieur suédois pourrait-il inspirer la France ?

Je voudrais d’abord dire en quoi il est différent. Il existe, en Suède, une vingtaine d’universités et une quarantaine d’établissements d’éducation supérieure, les högskolor, qui ne font pas autant de recherche doctorale et post-doctorale que les universités. Mais une högskola qui ferait un effort sur la recherche deviendrait une université. Tous jouissent d’une grande autonomie, particularité que l’on retrouve d’ailleurs au Danemark ou en Finlande. L’Etat définit la structure générale et les objectifs globaux. Il nomme ceux qui dirigent les établissements du supérieur, et peut également définir le nombre d’étudiants par établissement et par filière, même si, en réalité, il ne le fait qu’en cas d’inadéquation, dans un sens ou dans l’autre, entre la demande du marché du travail et le nombre de diplômés disponibles. A l’intérieur de ce cadre large, les établissements décident de tout : l’utilisation des ressources financières, l’organisation des formations (nombre de semestres, méthodes de travail, programmes, orientations de recherche…), structures et organisation de l’établissement (en particulier les locaux et les salaires des personnels, sachant que les agents publics en Suède sont tous titulaires d’un contrat privé), et le nombre d’étudiants, si l’Etat ne l’a pas fait. Autre caractéristique, les établissements sélectionnent les étudiants à l’entrée, selon les résultats obtenus par l’élève pendant ses trois années de lycée. La sélection est globalement acceptée en Suède, car il existe un dispositif, gratuit et donc relativement démocratique, qui permet à ceux qui n’ont pas le niveau (mais également aux adultes qui voudraient reprendre des études) de l’atteindre. Ce sont les komvux. Cela ressemble un peu aux écoles de la deuxième chance, un amortisseur du système qui vous garantit la possibilité d’améliorer votre niveau et d’accéder à la filière que vous souhaitez.

Quelle est la situation sociale des étudiants ?

Ce que je trouve choquant en France est la grande dépendance des étudiants vis-à-vis de leurs parents. En Suède, ils reçoivent une bourse d’Etat de l’ordre de 1 000 euros par mois (dont deux tiers sous forme de prêt) pendant six ans au maximum. La quasi-totalité des 400 000 étudiants suédois en bénéficient, ce qui leur donne une grande liberté de choix d’études, à condition d’avoir le niveau, et de vie. Et ce, d’autant plus que les universités sont quasiment gratuites. En contrepartie, l’étudiant a une obligation de résultat vis-à-vis de l’Etat : la bourse est renouvelée chaque semestre en fonction de la réussite de l’étudiant aux examens. Par ailleurs, après ses études, il devra rembourser la partie prêt, avec un plafond annuel. Cela peut prendre toute une vie dans certains cas ! Etudier en Suède est donc un investissement sur le long terme. Et la mentalité veut que ce ne soit pas les parents qui le financent, mais l’Etat et l’étudiant, ce qui rend celui-ci responsable de son avenir, et de son parcours professionnel.

Cela revient donc très cher à l’Etat…

La Suède consacre à peu près deux fois plus d’argent (public pour une très large part, même si le financement privé est amené à se développer dans les années à venir) à son système d’enseignement supérieur que la France. C’est d’ailleurs une caractéristique que l’on retrouve dans tous les pays nordiques. Contrairement à la France, elle investit moins dans le secondaire, avec, cependant, d’excellents résultats. Les études PISA en témoignent. Pourquoi ? Parce que chaque structure d’enseignement a un sens aigu du niveau à faire atteindre aux élèves. En arrivant à l’université, ils maîtrisent donc les bases et la formation peut être efficace dès le début. Ce qui n’est pas le cas en France. Le système de sélection contribue également à ce résultat, bien entendu.

Le système est-il inégalitaire ?

Quand on regarde les comparaisons internationales, le système suédois apparaît relativement égalitaire. L’origine socio-professionnelle de sa famille joue très peu sur l’accès à l’université et sur la réussite de l’étudiant qui reçoit, je le rappelle, une bourse substantielle. Par ailleurs, il y a peu de variations géographiques, et entre établissements. Grâce à l’effort d’investissement de l’Etat, d’une part. Mais aussi, d’autre part, parce que les universités étant très autonomes, elles sont donc en concurrence, et obligées d’être attractives. C’est d’ailleurs tout le paradoxe suédois : social-démocrate depuis longtemps, et porteur d’un système qui place les universités dans un environnement concurrentiel financé par l’Etat. Les filières qui n’intéressent personne sont fermées, les profs mauvais sont licenciés, les cours inadaptés sont supprimés. On estime que, pour qu’un Suédois, qu’il soit riche ou pauvre, ait un accès égalitaire à une formation excellente, il faut que les universités soient en compétition.

Cela implique forcément une hiérarchie…

Il y a bien sûr des différences entre les établissements, mais les plus faibles s’en sortent très bien en faisant des efforts sur l’attractivité des filières et le cadre de vie des étudiants. C’est notamment le cas de celles qui sont situées dans les régions froides du nord du pays. Umeå, malgré son handicap géographique, est une ville universitaire appréciée. Troisième facteur d’égalité, l’accès aux technologies de l’information et de la communication est extrêmement égalitaire. Neuf étudiants sur dix a accès à Internet chez lui. C’est également le cas de tous les pays nordiques.

Pour en revenir à la France, quelles leçons peut-elle en tirer ?

Réorienter l’effort financier de l’Etat vers le supérieur, quitte à investir moins dans le secondaire. Et, ce qui va de pair, mettre en concurrence les établissements pour améliorer la qualité

Reste que la société française est plus inégalitaire…

C’est vrai que la société suédoise est plus égalitaire qu’en France. Mais le système l’est également. En Suède, ce n’est pas parce qu’on est pauvre que l’on ne peut pas devenir médecin ! En France, ce n’est pas le cas. Le système suédois de bourses fait que c’est l’Etat et l’étudiant qui financent les études. Les revenus des parents ne comptent pas. Et le fait que la société suédoise soit égalitaire non plus.

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