« L’Europe suscite-t-elle toujours la méfiance de ses habitants ? »

Les Irlandais doivent se prononcer aujourd’hui par référendum sur le traité simplifié de Lisbonne, qui doit réformer les institutions européennes. Alors que l’économie irlandaise a largement profité de son intégration à l’Europe, le scrutin s’annonce pourtant extrêmement serré. L’enjeu est de taille, car une victoire du « non » serait un nouveau frein à la construction européenne.

Oui :  » Il existe une certaine impatience à l’égard de l’action européenne  » (Elvire Fabry)

Depuis l’échec du projet de traité constitutionnel en 2005, les opinions favorables à la construction européenne stagnent. On a certes observé un regain de confiance dans l’Union européenne, notamment en France, dans la foulée de l’accord de juin dernier sur le traité simplifié. Mais des facteurs tels que la montée des prix du pétrole et des produits alimentaires, et plus globalement la baisse du niveau de vie, créent aujourd’hui de l’impatience à l’égard de l’action de l’Union, et souvent de la déception. La distinction entre compétences de l’Union et compétences des États-nations reste en effet confuse pour les citoyens. Il existe une réelle difficulté à communiquer sur des sujets complexes, en particulier sur le fonctionnement des institutions,mais aussi une relative hypocrisie des responsables politiques nationaux qui savent souvent tirer parti de cette confusion. Et il faut bien reconnaître que le traité de Lisbonne n’a pas fait l’objet de beaucoup d’explications, donnant le sentiment d’un texte signé en catimini. L’un des arguments des « nonistes » en Irlande a été justement la méconnaissance des textes : « Si vous ne savez pas ce qu’il y a dedans, votez non » ! Mais, cette méfiance à l’égard d’une Europe compliquée, distante par rapport aux préoccupations quotidiennes, pourrait évoluer : de grands chantiers sont engagés aussi bien sur les questions énergétiques ou le réchauffement climatique que sur les politiques d’immigration. Chacun pressent que sur ces thèmes une coopération européenne serait plus efficace que l’étroite frontière des nations.

Non :  » La défiance porte sur la capacité des États à relever les défis  » (Dominique Reynié)

Jamais les Européens n’ont réclamé autant d’Europe ! Il ne faut pas se focaliser sur les effets trompeurs d’un référendum qui reflète avant tout un climat de politique intérieure et non le rejet assumé de l’Union européenne, en Irlande aujourd’hui comme en France en 2005. L’inévitable complexité des questions institutionnelles fait que l’on discute peu du contenu d’un traité et que l’on se dispute beaucoup à l’occasion d’un référendum. Et depuis 2005, ni la Commission ni les gouvernements nationaux n’ont développé les efforts nécessaires pourmontrer aux Européens ce que l’Europe leur apporte et ce qu’elle pourrait leur apporter. Contrairement à une vision simpliste, ce sont les élites politiques nationales qui sont les plus réticentes, car elles refusent leur propre européanisation. De son côté, la Commission est inhibée : elle craint de froisser les chefs d’État et de gouvernement qui lui contestent le droit de croître et lui chipotent celui de communiquer. Pourtant, de nombreuses enquêtes montrent que l’attente d’Europe est de plus en plus forte. La perspective n’est plus du tout fédéraliste ou idéaliste, elle est résolument pragmatique. Les Européens sont convaincus que les grandes questions, comme l’environnement, la recherche, les migrations ou l’énergie, ne relèvent plus de stratégies nationales. À leurs yeux, seule l’Europe est dimensionnée pour les protéger d’une globalisation qu’ils jugent toujours menaçante. L’euro-scepticisme cède la place à un « stato-scepticisme ».On doute des institutions nationales et de leurs capacités à préserver l’intérêt collectif. Cette demande d’Europe est une chance que l’on ne doit pas laisser passer.

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