Si la notion de communautarisme a pu avoir un sens en France dans la seconde moitié des années 90, elle ne semble plus adapter à la société française d’aujourd’hui.Le communautarisme remplit de façon de plus en plus nette, dans le débat public, une fonction de repoussoir telle qu’on est fondé à se demander si son procès a encore une raison d’être, et si les polémiques entretenues à son sujet ne sont pas en train de devenir un combat d’arrière-garde. Il n’est pas jusqu’à M. Dieudonné qui, saisi d’un rêve présidentiel, ne se campe en héraut de l’anticommunautarisme face à l’ethnicisme sioniste et néocolonial. A date récente, l’ancien fondateur de NTM, M. Joey Starr, métamorphosait sa campagne de subversion culturelle en appel au civisme républicain.
Sans doute ne doit-on pas être dupe de la stratégie qui consiste à s’abriter derrière les valeurs républicaines dans le but de les subvertir. Mais faut-il que le modèle républicain soit resté ancré dans les esprits pour que ses adversaires soient obligés de passer par lui pour le combattre !
Le fait est que, dans notre société, les mouvements porteurs de revendications communautaires jouent perdant. Tous sont mal à l’aise, divisés. A peine créé, le Conseil représentatif des associations noires se fragmente en factions ennemies. M. Joey Starr a été accueilli dans les banlieues par des sifflets. Le Conseil français du culte musulman, déchiré, n’a pas donné lieu à une seule élection qui permette de le considérer comme représentatif. Le Crif se partageait l’an dernier à propos de la déclaration de M. Sharon appelant les Français d’ascendance juive à rejoindre Israël. On s’interroge sur la solidité de communautarismes aussi peu solidaires.
En fait, si, à la faveur du conflit irakien et de la crise du Moyen-Orient, le communautarisme a pu avoir un sens en France dans la seconde moitié des années 90, et s’il a rencontré des échos auprès des militants régionalistes nationaux, les chocs de la période 2002-2005, marqués par les attentats de Madrid et de Londres, semblent lui avoir porté un coup d’arrêt. La crise des banlieues a fait justice des illusions du multiculturalisme et de l’Etat providence. Elle a fait découvrir à une majorité d’économistes, de politologues et de sociologues que le problème central de la société française est celui du niveau de l’école, du dynamisme de l’économie, du respect de la règle commune.
On a vu ainsi des intellectuels, des historiens, comme réveillés d’un long sommeil, signer des pétitions contre l’utilisation de la loi et du droit pour faire prévaloir des intérêts de mémoire. Les notions de discrimination positive, de quotas, de différentialisme juridique et culturel ont perdu, même à gauche, leur aura panurgique.
Dans ce climat, la première enquête approfondie menée par deux politologues sur les Français d’origine maghrébine, africaine et turque vient de mettre en évidence le fait que ces derniers sont en grande majorité frustrés, non par l’excès, mais par l’insuffisance des politiques classiques d’intégration républicaine (1). Loin d’être obsolètes, les principes des Lumières, dont la République française s’est voulue l’incarnation cohérente, retrouvent le statut qu’ils n’auraient jamais dû perdre, qui est celui, non d’un mythe, mais d’un projet.
Est-ce à dire que tout danger soit écarté ? Loin de là. Car une nouvelle idéologie s’avance, qui pourrait donner un second souffle aux revendications communautaires. Cette idéologie légitime les revendications ethniques, religieuses ou sexuelles en s’appuyant sur l’argument identitaire. L’identité, érigée en valeur absolue, a pris ainsi, en quelques années, la relève de la classe et de la race. Elle se présente comme l’expression la plus haute de la liberté individuelle et de l’affirmation de soi, alors qu’elle en est l’exact opposé.
L’identité, définie par la race, le milieu, la religion ou le sexe, est perçue comme un ultime refuge, la réponse la plus apaisante aux défaillances de la raison, dans des sociétés développées que le développement exponentiel des médias et l’évolution des moeurs exposent à la tentation du relativisme. Elle se distingue du communautarisme, dans la mesure où elle s’inscrit dans la tendance lourde à l’individualisme. Mais elle y ramène, en ce sens qu’elle privilégie le donné – religieux, ethnique ou sexuel –, et même en tire «fierté», par rapport à l’acquis de la volonté et de la culture.
L’idéologie identitaire substitue la subjectivité à l’intelligence, le particulier à l’universel ; elle exclut, par définition, le débat démocratique entre des individus autonomes et responsables. A l’exemple des idéologies qui ont exercé leurs ravages au cours du XXe siècle, elle cherche à s’imposer comme le pivot d’une philosophie de l’histoire totalisante, censée définir de nouveaux rapports entre les individus et les nations. C’est une arme, qui se sert du droit pour arracher de la domination et du pouvoir. A la différence du communautarisme, qui provoque le rejet, l’identitarisme convainc, rassure, séduit. Il continuera à miner les fondements rationnels de la liberté aussi longtemps qu’on n’aura pas dévoilé, sous son masque, le visage de l’intolérance.
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