14.10.2014
Paris
Événement passé

Venue de Nathalie Kosciusko-Morizet à la réunion de travail du Séminaire Bastiat

Venue de Nathalie Kosciusko-Morizet à la réunion de travail du Séminaire Bastiat

Dans le cadre du séminaire Bastiat du 14 octobre 2014, Nathalie Kosciusko-Morizet est intervenue à la réunion de travail.

Découvrez ci-dessous le contenu de son intervention.

Merci à tous, merci à la Fondation pour l’innovation politique pour son accueil et pour tout ce qu’elle fait le reste de l’année afin d’essayer d’irriguer d’un petit peu de réflexion ce monde sauvage dans lequel nous vivons, les uns et les autres, et ceux qui font de la politique en particulier.

L’interpellation est forcément un peu troublante parce que choisir une mesure, cela veut dire choisir un thème. J’ai donc beaucoup tourné autour de différentes mesures avant de me dire que, puisqu’il n’y en avait qu’une, il était peut-être important de prendre une mesure de méthode. Mesure de méthode qui pourrait après être déclinée et trouver du sens dans tous les champs d’exercice auxquels est confronté le politique.

J’ai travaillé sur la question de la qualité de notre législation et de notre réglementation. Sujet qui m’a beaucoup troublé quand j’étais ministre, parce que nous sommes pris dans des logiques, qui sont d’une part celles du politique mais aussi, d’autre part, celles de l’administration. Le politique veut faire des lois, il est poussé à cela. L’administration veut produire de la réglementation, elle est plus encore poussée à cela ces derniers temps puisque, comme il n’y a plus d’argent pour investir mais qu’il y a toujours des fonctionnaires, à un moment il faut justifier de son activité. Alors on a plutôt tendance à réglementer de plus en plus. Cependant la qualité de tout cela n’est pas assurée et l’est peut-être d’autant moins que l’on est poussé à le faire vite, dans l’urgence et dans un modèle surmédiatisé dont on voit très régulièrement les effets.

Il y a eu un exemple récemment qui m’a beaucoup frappé à cet égard, qui a été la loi Duflot. Vous verrez qu’au fil de mon exposé j’en trouverai non seulement dans cette mandature mais aussi dans la mandature précédente. La loi Duflot, m’a frappé parce qu’elle porte sur la question du logement sur laquelle j’avais eu l’occasion de travailler. C’est un sujet important pour tous les Français. Il pèse de manière majeure dans le pouvoir d’achat et dans les espérances – avoir un jour sa maison, être propriétaire – mais il est important également dans l’économie parce que quand la construction va bien, tout va bien et quand ça ne va pas bien, ça ne va pas bien du tout, comme d’ailleurs actuellement. La loi Duflot, c’est un exemple d’une loi qui répondait à des nécessités politiques aussi bien par son contenu que par sa dénomination. Il fallait qu’on ait une loi mais, très vite, elle s’est révélée être quelque chose d’absurde, avant même d’ailleurs, sa mise en œuvre. Tout le monde le disait et le pressentait et c’est le Premier Ministre suivant – mais de la même mandature – qui a été amené à reconnaître que cette loi était absurde.

C’est un grand chantier. Dans les pays anglo-saxons, ils appellent ça la better regulation. Ils ont développé des exemples qui peuvent aussi nous inspirer. Je suis allée étudier un petit peu ce qui se faisait au Canada et en Grande-Bretagne, qui n’est pas transposable immédiatement, évidemment, comme toujours, mais qui est quand même inspirant. Je vais donc parler surtout de l’évaluation de la loi, en amont de sa discussion parlementaire, ce qui ne veut pas dire que, pour construire une bonne loi, il faille se désintéresser des autres sujets, au contraire, mais on ne peut pas parler de tout, et il aurait fallu aborder plus longuement la concertation avec la société civile et la lutte contre l’insécurité et l’instabilité juridique. Je le dis d’emblée : ces deux points là, je les aborderai seulement en passant et je me concentrerai sur la question de l’évaluation de la loi.

J’ai parlé de la loi Duflot mais ma réflexion est venue plutôt à l’origine d’une autre expérience malheureuse, celle de l’excédent brut d’exploitation (EBE). C’était dans le projet de loi de finance pour cette année, où il y a eu cette idée qui n’est pas nouvelle, mais qui est un « vieux truc de Bercy ». D’ailleurs, je fais un parallèle mais dans la loi Duflot vous retrouvez les « vieilles lunes » du Ministère. Il ne faut pas croire que ce genre de projet mal ficelé naît uniquement de la tête d’un politique. Souvent le politique veut absolument sa loi et l’administration pousse quelque chose qu’elle a en tête depuis 20 ans et qu’elle ne réussit pas à caser. Alors l’excédent brut d’exploitation, c’est un vieux projet de Bercy avec l’objectif essentiel de trouver de l’argent. D’ailleurs, cela aurait pu marcher à court terme mais le problème, c’est qu’il constitue un frein à l’investissement, parce que quand vous taxez l’excédent brut d’exploitation, vous taxez avant la prise en compte de l’amortissement. Dans les grandes compagnies industrielles, dans lesquelles, forcément, les calculs des investissements en capitaux et l’anticipation de la façon dont on va les prendre en compte rentrent pour une part importante dans l’ensemble de la logique économique, taxer l’EBE ou modifier l’assiette de la taxe c’est, en fait, modifier les anticipations économiques et pénaliser assez lourdement les investissements industriels. Cela aurait été particulièrement dangereux dans un contexte dans lequel l’investissement des entreprises est faible, comme en ce moment. Le problème est que, comme il n’y a pas vraiment d’évaluation ex ante et que les études d’impact prévues par la loi sont d’une indigence terrible dans notre système, nous nous sommes retrouvés dans la pire des situations, c’est-à-dire que la taxation de l’excédent brut d’exploitation a été incorporée dans la loi de finances. Cela a entraîné une telle levée de boucliers que, finalement, nous nous sommes rendus compte très vite que c’était une catastrophe et la mesure a donc été retirée quelques jours après sa présentation officielle.

Finalement c’est l’exemple du dysfonctionnement en matière d’évaluation ex ante de la loi. Défaut de concertation évidemment, parce que tous les industriels auraient pu soulever le problème, mais défaut aussi d’études d’impact. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu car l’étude d’impact est obligatoire depuis une loi organique de 2009, mais simplement qu’elle était, comme souvent, indigente. D’ailleurs, la lecture de l’étude d’impact de la disposition « Taxation de l’excédent brut d’exploitation » annexée au projet de loi de finances montre à quel point le système fonctionne mal. Elle mettait principalement en avant l’intérêt pour les finances publiques et passait complètement sous silence la partie économique et le méfait de cette mesure sur l’investissement. En effet, d’une manière générale les études d’impact, quand vous les regardez de près, mettent souvent en avant des arguments budgétaires et des arguments juridiques mais, en revanche, elles sont complètement indigentes sur la partie économique.

On pourrait donner d’autres exemples très nombreux. Pour mémoire et pour que cela soit bien entendu, il ne s’agit pas d’un problème spécifique à la majorité présente – qui en a d’autres. Je prends, par exemple, ce qui avait été fait, de notre temps, avec la hausse de 7% de la taxation sur les contrats des mutuelles. L’étude d’impact, qui disait que cela ne changerait rien en termes sociaux parce que, finalement, le prix des mutuelles n’était pas si important dans le calcul que faisaient les uns et les autres en choisissant leur mutuelle, était manifestement une erreur. Une telle erreur d’ailleurs, que depuis les gouvernements successifs ont cherché à compenser l’impact de ces 7 %. Encore aujourd’hui, le gouvernement est en train de réfléchir à la manière dont il pourrait réorganiser les choses pour que plus de Français prennent une mutuelle, une complémentaire, en dépit du problème financier que cela représente parfois. Ce qui montre bien qu’augmenter de 7 % cette taxe sur les complémentaires n’était pas une bonne idée. D’ailleurs cette idée avait, là encore, un objectif financier, mais nous nous étions peu intéressés aux autres dimensions. Je prends l’exemple de la mutuelle santé pour souligner que ce sujet n’est pas seulement un sujet économique. C’est souvent particulièrement criant pour des lois qui sont dans le domaine économique mais en réalité, le problème de l’évaluation ex ante existe dans tous les secteurs, y compris le domaine social

Ce problème est particulièrement prégnant en France. A voir la différence qu’il y a avec les pays anglo-saxons sur la sophistication et la solidité de notre système de pré-évaluation de la loi, j’imagine que c’est lié à une forme de légicentrisme. On aime la loi, la loi est noble et elle donne de la noblesse au politique qui la fait. Nous sommes encore dans un mythe de la toute-puissance de la loi et pas seulement chez les politiques mais également parmi les Français, il existe une forte croyance dans le légicentrisme. Croyance à laquelle, nous autres, politiques, nous cédons facilement.

Ce mouvement est d’ailleurs de plus en plus problématique dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui. D’abord parce que l’économie et le social sont de plus en plus complexes. Par conséquent, la façon parfois simpliste dont nous abordons les choses avec la loi est probablement de moins en moins adaptée. Il faut voir les choses à 360°. En matière économique, il faut pouvoir anticiper la façon dont les différents sujets vont interagir et la loi ne s’y prête pas forcément bien, surtout compte tenu de la manière dont on la fabrique. Deuxièmement, parce que rechercher des recettes fiscales ne suffit pas, même si c’est évidemment extrêmement tentant et par ailleurs extrêmement nécessaire en ce moment. Et particulièrement pas en période de vaches maigres où on a cette pression d’aller rechercher de l’argent rapide et de l’argent facile qui conduit en général à envisager des solutions qui sont justement celles qui vont tuer la vache très vite. On est dans une tension entre le court terme et le moyen terme qui amène parfois à commettre de vraies erreurs législatives. Et puis, il y a un troisième problème, qui n’est absolument pas inscrit dans notre manière de fonctionner en France, qui est l’insuffisance de l’étude de l’option zéro. Parfois, il vaut mieux ne rien faire plutôt que de faire une loi. Mais cela n’est jamais étudié dans les études d’impact. On ne compare pas, on part du principe que c’est mieux de faire quelque chose, on n’étudie pas l’opportunité de l’option zéro en quelque sorte, du « on ne fait rien, on ne bouge pas ». Dire cela, c’est en fait souligner quelque part une préférence pour l’instabilité juridique. Ne pas étudier l’option zéro, ne jamais remettre en cause la nécessité, l’intérêt de faire une loi, c’est se mettre systématiquement en situation d’instabilité juridique. Nous avons donc besoin, je crois, de s’organiser ou de se réorganiser – parce que ce ne sont pas forcément des choses nouvelles à créer – pour qu’il y ait une évaluation systématique, une évaluation indépendante, une évaluation opposable, quelque chose de plus solide que ce qui existe aujourd’hui. J’ajoute que je pense que ce ne sera pas réduire les prérogatives de l’État, mais ce sera un enjeu de légitimité pour l’État parce que ce sera une façon de le moderniser et de lui donner un autre visage – bien plus moderne.

Je reviens un peu sur la manière dont sont faites les études d’impact, puisque ce serait une injustice de dire que les choses n’ont pas évolué de ce côté-là. Du temps du gouvernement Fillon, en 2009, il y a eu une loi organique prescrivant les études d’impact. Le problème en fait, c’est qu’elles sont vraiment très insuffisantes en termes de contenus. D’abord, elles sont faites par les ministères donc il y a un conflit d’intérêt à l’origine puisque ce sont eux qui écrivent les lois. Ensuite, elles sont considérées par les ministères et par tout le monde comme une sorte de formalité et d’ailleurs elles sont extrêmement formelles. Enfin, souvent elles se résument à un argumentaire politique et vous retrouvez dans l’étude d’impact des points qui seront à nouveau dans l’exposé des motifs de la loi qui lui, en théorie, a une vocation politique. Cela dit bien le mélange des genres dans lequel nous nous situons.

Un exemple d’étude d’impact vraiment aberrante à cet égard – étude politique et non économique – c’est l’étude d’impact relative à la partie de la loi de finances concernant la mesure qui a donné lieu à l’affaire des « pigeons ». Il s’agissait de surtaxer, ou plus exactement d’augmenter la taxation sur les plus-values de cessions mobilières. Si vous regardez l’étude d’impact qui a été faite sur cette mesure, vous constaterez qu’elle met en avant la nécessité politique du rapprochement entre la fiscalité du capital et la fiscalité du travail, ce qui n’a pas de rapport avec une étude d’impact sur une mesure qui, en l’occurrence, aurait eu un impact économique considérable. Elle ne prend absolument pas en compte la dynamique entrepreneuriale, donc on est dans une analyse économique qui résulte quand même assez largement de l’idéologique. En fait c’est la reprise exacte de l’argumentaire politique du gouvernement pour présenter dans son ensemble la loi de finances 2013. Donc nous sommes très loin d’un standard de qualité.

Il y a des raisons pour lesquelles cela se passe ainsi. Il faut les identifier pour y remédier. Tout d’abord, le gouvernement n’a souvent pas l’expertise suffisante en matière économique. Quand je dis « le gouvernement », ce sont notamment les ministères techniques qui produisent les normes techniques qui ont un impact considérable. Et puis le gouvernement ou celui qui écrit l’étude d’impact cherche à valider son intention politique. Encore une fois, le conflit d’intérêt entre celui qui fait la loi et celui qui rédige l’étude d’impact est patent. Donc en restant dans ce mode de fonctionnement là, nous ne pouvons pas nous en sortir. Dernière chose, le Conseil d’État a normalement une mission en matière de vérification des études d’impact – c’est prévu dans la loi organique de 2009 – mais le problème, c’est qu’il exerce cette mission de manière purement formelle, c’est-à-dire qu’il vérifie s’il y a une étude d’impact mais il se prononce très peu sur le contenu. Il faut vraiment que ce dernier soit complètement indigent et qu’il y ait des pans entiers de l’analyse qui aient été omis pour que le Conseil d’État s’en émeuve.

Quelle est la proposition ? Je vous disais tout l’heure que j’avais regardé un peu ce qui se faisait à l’étranger. C’est évidemment dans les pays anglo-saxons, sur ce sujet-là de l’évaluation, qu’il y a les choses les plus intéressantes, en particulier au Canada. Mais c’est au Royaume-Uni que j’ai trouvé la formule peut-être la plus inspirante. Les ministères fournissent la matière première, puis il y a un organisme qui est chargé de la compléter et de la confronter à la société civile et au monde universitaire. En fait l’organisme travaille la matière de telle sorte qu’elle ne soit pas une étude d’impact rédigée par une administration pour le chef de son administration. Cet organisme est indépendant : la démarche d’évaluation est donc autonome.

On pourrait avoir un système qui serait rattaché au Premier Ministre. Du point de vue fonctionnel, cela ne poserait pas de problème. D’ailleurs ce serait l’occasion de réorganiser un certain nombre de comités qui sont autour du Premier Ministre et dont l’intérêt et l’efficacité aujourd’hui ne sont pas assurés. Nous aurions besoin, de mon point de vue, d’un dispositif qui nous permette de sortir de l’endogamie de l’administration et parfois du monde politique. On aurait dans ce dispositif des experts du monde de l’entreprise, du monde social, des syndicats, de certains secteurs économiques mais aussi des experts étrangers, parce que ce serait aussi l’occasion d’un échange constructif. Il faudrait que cet organisme puisse juger non seulement de l’étude d’impact au sens fermé, mais aussi de la pertinence de la loi. Par exemple se poser la question de l’option zéro – est-ce pas mieux sans qu’avec ? – et de la pertinence économique comme de la pertinence sociale. Cela est évident, il faudrait également se placer dans un point de vue de coût mais aussi de moyen et de long terme. Évidemment ce n’est pas à l’organisme de choisir si nous faisons ou non la loi, mais les avis seraient rendus publics et un avis défavorable serait forcément annexé au projet de loi – le débat serait intelligemment alimenté.

Quand j’avais travaillé sur le principe de précaution de la charte constitutionnelle, je m’étais intéressée à un dispositif qui existait en Israël concernant une Commission pour les générations futures. Vous le savez, dans la notion de développement durable et dans la charte de 2004, il y a l’expression « les générations futures » et un certain nombre de juristes avaient dit que les générations futures n’existaient pas. C’est discutable, mais leur qualification juridique était mal assurée. J’avais trouvé en Israël une Commission pour les générations futures, qui est un dispositif intéressant composé de profils type « juge de la cour suprême en retraite » mais pas seulement, il y avait un mélange avec la société civile. Cette commission était systématiquement saisie de projets de loi pouvant avoir un impact à long terme. Elle rendait un rapport sur l’impact pour les générations futures, qui, s’il avait des réserves ou s’il était négatif, était systématiquement débattu à la Knesset, annexé et donnait lieu à un débat, en même temps que la présentation de la loi. Je ne fais pas le parallèle sur les générations futures mais sur le dispositif, sur la méthode, sur le fait d’avoir un organisme qui, évidemment, ne tranche pas à la place du gouvernement et des politiques, mais qui peut émettre un avis dont la publicité et la présence dans le débat public sont assurées. Ce ne serait probablement pas inintéressant, d’ailleurs, que l’organisme puisse être saisi, aussi, de l’évaluation a posteriori, mais tout cela s’organise.

Pour conclure, cela peut paraître paradoxal d’avoir un politique qui vous propose une telle réforme, mais moi, j’ai été terriblement frustrée de la manière dont se construisait, s’écrivait et se débattait la loi. Je pense qu’évidemment, à court terme, si je vous fais cette proposition, j’ai l’air de vouloir circonscrire et réduire le pouvoir du politique mais au contraire, je crois qu’il n’en est rien. Aujourd’hui il faut moderniser la figure de l’État et trouver les moyens d’associer, le plus en amont, les uns et les autres à son action, en l’occurrence la production législative. Mais j’aurais pu faire des propositions sur d’autres dimensions de la méthode politique et elles auraient été de la même nature. Finalement, je pense que c’est non seulement une sauvegarde, car cela évite de faire des erreurs potentiellement redoutables, mais également un chemin possible pour la reconstruction de liens de confiance qui ont été assez largement sectionnés.

Il faut moderniser la figure de l’État et trouver les moyens d’associer, le plus en amont, les uns et les autres à son action, en l’occurrence la production législative.

Nathalie Kosciusko-Morizet,

14/10/2014

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