Venue de Xavier Bertrand à la réunion de travail du Séminaire Bastiat

Xavier Bertrand est intervenu le 4 novembre 2014 à la réunion de travail du séminaire Bastiat.
Découvrez ci-dessous le contenu de son intervention.
Merci Dominique. Merci aux Arvernes de m’inviter. Quand vous traitez des différents thèmes d’un projet, il faut qu’il y ait une finalité. En ce qui me concerne, la première des finalités c’est d’aller chercher la croissance et d’en créer. Dans l’invitation pour le séminaire Bastiat, il s’agit d’exposer une réforme qui se situe principalement dans le domaine économique. Pourtant, ce n’est pas le sujet que je vais aborder devant vous. Vous m’avez demandé de parler d’une des réformes que je considère comme clé, l’une des premières mesures que je présenterais si je gagnais la Primaire et si j’étais élu. Bien évidemment, je pourrais vous parler de la réforme du marché du travail, d’un vrai pacte de compétitivité qui reposerait sur la baisse du coût du travail, la réécriture totale du Code du Travail et la réforme du marché du travail. Je pourrais vous parler de réformes au niveau européen. J’y crois profondément, que ce soit sur les institutions, sur l’harmonisation fiscale, sociale, ou sur la question des frontières. Je pourrais vous parler du rôle de l’État, des thèmes régaliens, qui sont tout aussi importants à mes yeux. Je pourrais vous parler de la réforme de notre système de protection sociale, incontournable. Et pourtant, je vais vous parler d’une réforme institutionnelle.
Je ne pense pas être réellement décalé par rapport à la question qui est : « comment mettre en œuvre une réforme ? ». Ce sujet, j’y suis confronté en permanence dans tous mes déplacements et dans tous les échanges interactifs que je peux avoir. Les gens me disent : « Elles sont intéressantes vos propositions. Certaines sont très nouvelles. Certaines sont très différentes de votre parcours. Cela ressemble à un projet, pas à un programme ni à des mesures. Mais pourquoi vous, vous réussiriez, là où vous n’avez pas réussi en tant que ministre ? Et là où les autres n’ont pas réussi ? ». Cette question, depuis que j’ai déclaré ma candidature voilà deux ans, revient sans cesse et c’est pour moi une incitation profonde à me remettre en question et à essayer de comprendre pourquoi nous n’avons pas réussi lorsque nous étions aux responsabilités.
Entre les hommes et les femmes politiques dont on parle aujourd’hui pour être candidats à la présidentielle, c’est déjà la guerre entre la plupart d’entre eux. Il ne faut pas se raconter d’histoires. Ils sont intelligents, certains courageux, plus que d’autres. Le courage n’étant pas la vertu la plus dominante en politique ; vous rencontrez plus souvent du culot que du courage. De fait, pourquoi, n’y a-t-il pas de réussite ? La première chose, c’est que la classe politique est davantage mue par un attachement à la conquête du pouvoir, que par l’attachement à l’exercice du pouvoir. Je ne sais pas si c’est ce qu’il y a de plus excitant ou bien de moins contraignant contrairement à ce que l’on peut penser, mais toute l’énergie de la classe politique française est mise sur la conquête du pouvoir. Arrivons au pouvoir, et après nous verrons. Vous pouvez très bien discuter mon propos pour, ensuite, le remettre en question. Je n’ai aucun problème. Je ne fais pas de la provocation, je suis sincère.
Cela, c’est le problème de fond. Et avant de vous parler d’une réforme institutionnelle, je pense que si nous ne comprenons pas pourquoi les hommes et les femmes courageux qui avaient un mandat clair pour réformer ne l’ont pas fait, il faut bien se poser une autre question : est-ce que notre société politique telle qu’elle fonctionne n’est pas à bout de souffle ? Personnellement, je ne suis plus tout à fait le même depuis les élections européennes.
Lors des élections européennes j’étais intimement convaincu que Marine Le Pen arriverait en tête. Certains disaient que ce n’était pas possible voire impensable ; que l’UMP saurait davantage mobiliser son camp, plutôt conservateur ; que mobiliser son électorat dans une élection avec un faible taux de participation entraînerait mécaniquement la victoire… On connaît la suite : cinq points d’avance pour Marine Le Pen. Ce n’est pas le hasard ! Et encore, tout ceci avant les révélations sur Bygmalion le lundi. Si les révélations avaient été faites non pas le lendemain mais la veille du scrutin, Marine Le Pen était à plus de 30 % et l’UMP était au niveau du parti socialiste, c’est-à-dire moitié moins, à 15 %.
Ce jour-là, j’ai vraiment pris conscience d’une chose, mais pas seulement parce que je suis dans un département l’Aisne qui est le premier de France pour les scores du Front National avec 40,2% (et non pas les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône ou le Vaucluse). Ce jour là, j’ai compris que nous nous acheminions, non pas vers un nouveau 21 avril mais, s’il n’y avait pas une réaction profonde, vers ce que j’appelle un « cataclysme politique ». En effet, je pense qu’il n’est absolument pas exclu qu’un jour, le Front National puisse arriver au pouvoir au niveau national. Pour moi, cela peut arriver dans un cas de figure qui est très simple : si la droite l’emporte en 2017 – ce qui est tout à fait possible et plausible – et qu’elle échoue derrière, je pense que rien n’empêchera le Front National d’arriver au pouvoir. Certains pensent que cela peut arriver avant – je ne fais pas ce pari – mais je pense sincèrement qu’être élu et échouer derrière, risque d’entraîner une arrivée du Front National à la tête du pays.
Et là, si vous comprenez, si vous avez le même sentiment que moi, vous devez effectuer une formidable remise en question du système et voir institutionnellement quelles seraient les conditions du retour de la confiance. Parce que si vous voulez gagner et ne pas échouer, il faut que vous ayez une vision claire du projet. Mais il faut aussi avoir un soutien clair de la part des Français. Pourtant, aujourd’hui quoi que vous disiez et quoi que vous fassiez, la question c’est : « Tous les projets sont intéressants, les idées sont intelligentes. Pourquoi cette fois-ci vous, vous le feriez vraiment ? Quel est le process ? ». Le process est aussi important que le projet. J’en viens donc à ce que je considère comme une réforme essentielle : une réforme institutionnelle, dont la clé de voute est le retour au septennat non renouvelable.
Pendant très longtemps, même si j’étais féru de cours de droit constitutionnel, j’ai eu peu de goût pour les questions institutionnelles parce que j’étais persuadé qu’elles n’intéressaient que moyennement les Français, que seul le débat sur la VIème République pouvait de manière récurrente alimenter les gazettes, animer quelques débats, passionner Monsieur Montebourg et Monsieur Mélenchon. Mais aussi, parce que j’avais le sentiment que ce n’était pas cela qui créait des emplois ni ne faisait baisser les impôts. En définitive, en faisant une analyse en profondeur, notamment du dernier quinquennat 2007-2012 et de l’action de Nicolas Sarkozy, j’ai voulu comprendre pourquoi nous n’allions pas au bout des choses ni au bout des réformes. Je suis intimement convaincu que le quinquennat a été une fausse bonne idée et qu’il est en grande partie responsable de la situation que je viens de décrire.
La question est la suivante : est-ce que nous sommes rentrés dans un système à l’américaine? Je ne traite pas du débat « système parlementaire hybride » vs « système présidentiel », non pas du tout. C’est : « est-ce que celui qui est élu n’a pas humainement et intimement l’envie de faire dix ans et pas cinq ans ? ». Déjà, avec le septennat, la question s’est posée : Giscard d’Estaing s’est représenté, François Mitterrand, Jacques Chirac, vous avez la réponse et Nicolas Sarkozy était candidat. Dès lors, à partir du moment où vous raccourcissez l’horizon du mandat présidentiel à cinq ans, est-ce que celui qui est élu n’a pas directement pour objectif sa réélection ? Pour moi, la réponse est simple. C’est oui. À partir de ce moment-là, avec un horizon raccourci à cinq ans et l’idée obsessionnelle de la réélection, vous n’avez pas la même lecture des réformes à entreprendre.
Pour être tout à fait clair, je pense que les réformes en France ne sont pas impossibles. Qu’elles soient plus difficiles qu’ailleurs, c’est un fait, à cause du poids des conservatismes et de la place des corps intermédiaires quels qu’ils soient, mais la France n’est pas un pays impossible à réformer. Je suis bien placé pour le savoir : j’ai mis en place l’interdiction de fumer dans les lieux publics, le service minimum dans les transports, etc. Donc les réformes ne sont pas impossibles, mais elles sont plus difficiles. Et parce qu’elles sont plus difficiles, celui qui décide d’engager les réformes jusqu’au bout met forcément en jeu sa popularité, et par conséquent met en cause la possibilité de sa réélection.
Parlons encore plus clairement. J’ai vu Nicolas Sarkozy, en 2010, après une crise inégalée, faire preuve d’une maestria sans pareil. Au moment de la réforme des retraites en 2010, il s’est posé la question de savoir si nous devions engager cette réforme. C’était incontournable à cause des déficits. Mais la question était de savoir si nous allions jusqu’à 62 ans ou jusqu’à 63 ans ? Et j’ai aussi vu un homme courageux se dire qu’à 62 ans, cela pouvait passer, tandis qu’à 63 ans, cela pouvait peut-être casser et que si cela cassait, il était évident qu’il n’y aurait pas de réélection un an et demi après. Résultat, nous sommes restés à 62 ans et il n’y a pas eu de réélection quand même. La preuve que tout ne se joue pas là-dessus, mais toujours est-il, que s’il n’y avait pas eu la perspective de la réélection, je suis persuadé que la décision aurait été différente.
Ceci est un exemple très concret, et j’en ai d’autres en tête. Le problème en France est simple : à partir du moment où vous voulez être réélu, vous cherchez davantage à plaire – et c’est humain – plutôt qu’à faire, surtout dans un contexte où, à l’avenir, la question de l’ampleur des réformes ne se posera même pas. En effet, après trente ans de déclin que la gauche et la droite n’ont pas su enrayer, le choix est très simple : soit nous pensons que nous pouvons continuer à laisser filer les choses, mais c’est l’effondrement qui nous guette ; soit nous nous donnons vraiment les moyens du redressement. Institutionnellement, si vous ne changez pas la donne, nous pouvons avoir le sentiment qu’avec des coups de menton supplémentaires et une plus grande clarté sur les objectifs, les réformes seront conduites différemment. Il n’en sera rien parce que celui qui sera élu viendra vous dire qu’il faudra du temps pour conduire le redressement de la France. Il vous dira qu’il a fallu une dizaine d’années à Schroeder pour le faire et qu’il lui faut la même chose. Alors qu’en fin de compte, si vous voulez des mesures très fortes, il faut les prendre tout de suite car vous n’avez pas besoin de faire dix ans – donc deux mandats – pour remettre le pays sur une vraie trajectoire.
Je reviens sur ce point. Je pense qu’il faut procéder à ce changement institutionnel, c’est-à-dire revenir au septennat, par un référendum en début de mandat. Revenir à un septennat et un mandat non renouvelable qui s’appliquera à celui qui posera la question aux Français parce que cela vaudra bien évidemment pour le mandat en cours. Ceci ne suffit pas à expliquer le changement. Un président qui revient sur sept ans, c’est un président qui intègre davantage le temps long, qui laisse à nouveau respirer les institutions, qui n’est pas en même temps pas seulement chef des armées mais ministre des armées, ou ministre de l’Intérieur quand il le faut, mais également Premier ministre en permanence ainsi que chef de la majorité qu’il reçoive, ou non, les parlementaires à l’Elysée. Vous retrouvez forcément un découplage des fonctions et nous évitons la confusion qu’il y a aujourd’hui entre les deux fonctions. Je ne suis donc pas, vous l’avez compris, pour la suppression de la fonction du poste de Premier ministre. Je pense que c’est une erreur de rentrer dans cette logique.
Voilà pourquoi le septennat est à mon avis l’une des conditions préalables au retour de la confiance. Mais je voudrais y ajouter un certain nombre de changements au niveau institutionnel que je vais balayer rapidement. Je suis pour la pratique du référendum, mais pas comme effet de mode. Beaucoup aujourd’hui nous disent qu’il faut le référendum. Très bien, d’accord, mais il faut des règles pour le référendum. Pour moi, le référendum, s’il est d’initiative présidentielle, doit être utilisé dans les cas d’un changement de la loi fondamentale qu’est la Constitution. Toutefois, il ne doit pas l’être pour tout et n’importe quoi ou alors uniquement s’il y a, à un moment donné, un blocage manifeste dans le pays. Pour le reste, je regrette que le référendum d’initiative populaire soit tellement encadré qu’il ne verra jamais le jour. Les 10 % du corps électoral aujourd’hui sont quasiment impossibles à atteindre. Et même si nous ne voulons pas copier la votation suisse, je pense qu’il y a un équilibre à trouver entre le système actuel qui empêche le recours au référendum d’initiative populaire avec le système suisse où la taille du pays est beaucoup plus adaptée à ce type de votation.
Donc c’est un système présidentiel profondément renouvelé, qui reste, pour moi, dans l’esprit de la Vème République, et une pratique référendaire différente qui sont de nature aussi à contourner certains blocages le cas échéant et surtout à redonner la base de la confiance absolument nécessaire pour avoir la force, dont je parlais tout à l’heure, pour mener un certain nombre de réformes.
Merci à vous.
Xavier Bertrand,
04/11/2014







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