Une jeunesse coupée en deux?
Fondapol | 18 novembre 2011
D’une fracture l’autre
C’est entendu, la France est parcourue de fractures : on connaissait la fracture sociale, la fracture des classes moyennes et la fracture générationnelle. A ces césures, les huit mains qui ont composé ce petit livre rajoutent une fracture intra-générationnelle : la jeunesse française est coupée en deux. Le couperet tombe sans ambages, implacable et crée une profonde division entre les jeunes diplômés et les non-diplômés. L’accent est mis avec insistance sur le triste record que détient la France : sa « formidable » capacité à exclure les plus faibles, les laisser sur le bord de la route et ne jamais venir les récupérer.
Non seulement, cette fracture est prégnante mais cette césure s’accroît avec le temps. Un chiffre peut servir d’argument massue : le rapport entre les taux de chômage des jeunes diplômés et non-diplômés est passé de un et demi dans les années 1970 à deux et demi dans les années 1990. Ce n’est pas seulement au niveau économique mais également au niveau scolaire ou encore politique qu’apparaît cette césure, de telle sorte que la cohésion sociale est de plus en plus remise en cause.
Un système sclérosé et désintégrateur
Pour mettre en évidence le gouffre qui s’est créé entre diplômés et non-diplômés, les auteurs font appel à divers indicateurs et soulignent le caractère délétère du fonctionnement de beaucoup d’institutions françaises. C’est ainsi qu’après avoir dressé un constat accablant de la désintégration d’une partie de la jeunesse, et de l’écart qui se creuse entre deux mondes, les économistes et le sociologue soulignent à quel point le système institutionnel français exclut. On relève ainsi deux institutions qui sont particulièrement montrées du doigt : l’école et le marché du travail.
De l’école…
L’école creuse les écarts alors qu’elle est censée assurer l’égalité des chances. Les auteurs reprennent en partie l’argumentaire de Baudelot et Establet (L’élitisme républicain, Seuil, coll. « La république des idées », 2009) en s’appuyant sur les enquêtes PISA. Environ 20 % des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base au terme de leur scolarité, et la même proportion sort chaque année sans diplôme. Ceci est dû à une structure trop rigide de l’école, une orientation par l’échec et, selon eux, un enseignement vertical trop abstrait et sélectif. Cette éducation induit une logique de compétition dans la société qui exclurait les plus faibles. Comme l’ont montré les sociologues : cette culture de l’élitisme conduit à une société de statut moins fluide, moins efficace et, in fine, enkystée dans ses certitudes.
Au marché du travail
Non seulement l’école laisse sur le bord de la route, mais le marché du travail français fait perdurer ce résultat. Et c’est à ce moment que la distinction entre diplômés et non-diplômés joue à plein : malgré les imprécations contre la dévalorisation des diplômes et l’abandon de la jeunesse, les premiers parviennent toujours à mieux s’en sortir, même s’il leur faut plus de temps qu’avant, les autres tombent, en moyenne, dans une cercle infernal de précarité et d’insécurité. Avec les contributions de Pierre Cahuc et André Zylberberg, spécialistes du marché du travail, l’analyse est limpide et efficace, bien que connue. Le marché du travail français est organisé de manière duale, c’est-à-dire que des insiders sont protégés par des règles contraignantes à l’intérieur des entreprises (CDI) –pour ne pas parler de la protection absolue des fonctionnaires- tandis que les outsiders ont du mal à profiter de ces protections et sont susceptibles de tomber dans l’insécurité de l’emploi (CDD). Trop de protection pour les uns, pas assez pour les autres ; et ce sont notamment les non-diplômés qui en font les frais. Néanmoins, les contrats aidés du secteur public ne sont pas une solution, de même qu’invoquer la « formation » ne suffit pas à insérer ces jeunes car précisément l’accès à cette dernière est lui aussi inégalitaire.
La ou les jeunesses ?
La thèse du livre est claire : on trie la jeunesse et on délaisse ceux qui n’ont pu réussir, marqués toute leur vie du sceau de l’infamie (pas le bon diplôme, pas la bonne formation, pas la bonne culture…). Néanmoins, tous les chapitres du livre ne tracent pas clairement cette ligne entre deux jeunesses, et laissent parfois penser qu’en réalité le problème est intergénérationnel. Ainsi, dans le chapitre sur le désintérêt politique, il existe moins de différences entre les avis des diplômés et des non-diplômés sauf peut-être sur l’intérêt porté à la politique. Tous les jeunes semblent avoir une moindre confiance en eux, ce qui pourrait encourager des dérives populistes et autoritaires.
C’est encore plus marquant dans le chapitre sur le verrouillage de la politique. Les auteurs soulignent, avec raison, que c’est le cumul des mandats, dans le temps et dans l’espace, qui cadenasse l’entrée en politique des jeunes et sclérosent la démocratie française. Deux chiffres : l’âge moyen des parlementaires français en 2007 était de cinquante sept ans et demi (huit ans de moins dans les autres pays européens) ; la proportion des moins de quarante ans de 3 %… contre 17 % chez nos voisins. Néanmoins toute la jeunesse est touchée, et il n’y a pas ici de spécificité des non-diplômés. De même, dans le dernier chapitre sur la protection sociale, les auteurs alternent entre dénonciation des inégalités entre deux jeunesses et démonstration de l’opposition entre la jeunesse prise comme un tout et les plus de vingt cinq ans.
Beaucoup de problèmes, peu de solutions…
Le livre pose de nombreux constats, souvent percutants et efficaces, bien que la boulimie des enquêtes d’opinions n’apporte pas toujours d’arguments décisifs, mais apporte – hélas ! – peu de réponses au vu de l’immensité du problème. La conclusion tente bien d’apporter quelques solutions et renvoie aux différents chapitres où sont ébauchées quelques pistes, mais rien de chiffré, de synthétique et de cohérent.
Les réponses sur quelques points semblent assurées : le marché du travail (sans surprise), avec l’instauration d’un contrat unique plus souple et le développement de l’alternance ; la politique, avec la fin du cumul des mandats au moins dans l’espace et la protection sociale avec l’extension du RSA aux 18-25 ans. Néanmoins certaines propositions sont plus brumeuses et trop générales. Ainsi de la part que les parents doivent jouer ou non ; alors que – le cinquième chapitre le montre bien- l’acquisition des capacités cognitives et non-cognitives se joue dans la prime enfance. Néanmoins, les auteurs n’en tirent pas de conclusions opérationnelles évidentes. Quant à l’école, leur proposition est de changer la façon d’enseigner (enseignement horizontal et participatif), de réduire le nombre d’heures et de matières ou encore de supprimer les notes, ce qui semble assez utopique et peu convaincant.
Toutefois, cette analyse de la machine à trier reste très pertinente, et incite à faire ce triste et sempiternel constat : la France attend des réformes structurelles et courageuses.
Pertinax
Crédit photo, Flickr: Mypouss
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