Le bobo, bouc émissaire des Français

Laura Fernandez Rodriguez | 10 juillet 2019

Cibles faciles, les métropolitains sont soumis à une insécurité économique et à une délinquance accrues, selon une étude de la Fondapol. A la veille des municipales, LR et le PS auraient tout intérêt à parler de nouveau à cet électorat-là.

Autoriser les bobos à parler de leurs…bobos, telle est l’ambition d’une étude parue début juillet à la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol, un think tank libéral progressiste). Intitulée « Allô maman bobo, électorat urbain : de la gentrification au désenchantement », elle a été rédigée par Nelly Garnier, directrice associée à Havas Paris, proche du parti Les Républicains dont elle fut la directrice des études. En ligne de mire : les prochaines élections municipales.

Dans cette étude, Nelly Garnier souhaite prendre le contrepied des clichés qui s’accumulent sur les épaules des habitants des grandes villes, finalement devenus « le défouloir collectif d’une société en crise ». Nelly Garnier estime qu’ils se sont vus refuser le droit d’exprimer leurs « fragilités », le politique critiquant le « bobo », et le monde universitaire critiquant le « gentrifieur ». L’étude dresse donc un portrait robot de cette élite urbaine qui « si elle est une élite, est désenchantée », comme l’a déclaré Nelly Garnier dans une vidéo de présentation, et qui aborde également ses insécurités et les caractéristiques de son vote.

Des habitants plus jeunes, et plus locataires que propriétaires

Dans cette étude, six quartiers considérés comme gentrifiés, phénomène de mutation urbaine, incarné par l’arrivée de « bobos » (1) ou en voie de gentrification ont été étudiés à Paris, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Bordeaux et Grenoble, soit des villes de plus de 150 000 habitants.

La part des jeunes adultes (15-44 ans) est plus élevée dans les métropoles, et encore plus dans les quartiers gentrifiés : « on compte 46 % de jeunes adultes à Paris et 51 % dans le IXe arrondissement de la capitale, contre 37 % à l’échelle nationale. Toulouse, Strasbourg et Grenoble sont des villes jeunes composées pour moitié de jeunes adultes. La part des jeunes croît encore dans les quartiers retenus pour notre étude, avec 55 % de jeunes adultes dans le quartier Chorier-Berriat (Grenoble), 64 % dans le quartier de la Krutenau (Strasbourg), 68 % dans le quartier de Saint-Cyprien (Toulouse). »

Il ressort également que « la part des personnes propriétaires de leur résidence principale est beaucoup plus faible en métropole qu’à l’échelle nationale, et souvent encore plus faible dans les quartiers gentrifiés de l’hypercentre. » Par exemple, « seuls 26,1 % des habitants sont propriétaires de leur logement dans le quartier Saint-Cyprien, à Toulouse, et 14,8 % dans le quartier de la Krutenau, à Strasbourg, contre 60,5 % à l’échelle nationale. ». Et cela ne relève pas d’un choix, selon Nelly Garnier. « On peut (…) considérer que les métropolitains ne sont pas moins désireux d’être propriétaires de leur logement, mais ils restent locataires soit parce que cela correspond à un cycle de leur vie – les études, l’entrée dans la vie active, la vie en couple sans enfants –, soit parce que l’accès à la propriété privée est plus difficile en ville. », écrit-elle.

Evoquant une banalisation du statut de cadre, surtout dans les grandes métropoles où ils sont plus nombreux que la moyenne, les « bobos » connaîtraient par ailleurs une insécurité économique pouvant fragiliser leur situation. « La désillusion des diplômés de grandes écoles se confrontant à l’entrée sur le marché du travail en région parisienne est parfaitement résumée à travers le témoignage d’un cadre, interrogé sept ans après l’obtention de son diplôme : « On a de quoi combler nos besoins primaires, mais on ne se sent pas riches pour autant, c’est ça le pire ! ».

Sentiment de « malaise urbain »

Selon Nelly Garnier, la ville ne fait plus rêver, et abrite désormais un « malaise urbain », alimenté par un certain nombre d’insécurités ressenties par les métropolitains.

Vis-à-vis de la mixité sociale, Nelly Garnier considère que les bobos font face à une contradiction, entre leur désir de mixité sociale et une réalité parfois mal vécue, notamment en cas de constat d’échec du vivre-ensemble, qui se matérialise chez certains via la scolarité des enfants.

Les métropolitains ont également peur pour leur intégrité physique : la délinquance est plus forte que dans les autres territoires. « Le  nombre  de  vols  violents  sans  arme  enregistrés  pour  1  000  habitants  augmente de manière très significative avec la taille des agglomérations. En moyenne, ce taux par habitant est 55 fois plus élevé dans l’agglomération parisienne que dans les communes rurales, et près de 25 fois plus élevé que dans  les  agglomérations  de  moins  de  5  000  habitants ». Les métropolitains sont également confrontés à la menace terroriste, et aux effets néfastes de la pollution sur leur santé.

Les limites de l’opposition métropoles – territoires

Le vote métropolitain se caractérise par une préférence pour les partis de gouvernement : lorsque la dynamique nationale a été en faveur des socialistes, le vote de gauche a été amplifié en ville, pointe Nelly Garnier. « La dynamique est moins forte pour la droite mais cette dernière ne conserve pas moins de solides positions en ville, notamment à Paris, Bordeaux et Marseille ».

Or, l’UMP puis LR, et une partie du PS ont décidé de réorienter leurs discours en direction des populations rurales et périrurbaines, et se sont mis à taper sur les « bobos », d’où le succès de LREM auprès de cet électorat lors des dernières élections. « L’analyse du malaise métropolitain montre les limites de l’opposition entre des métropoles gagnantes et des territoires relégués, devenue un lieu commun du discours médiatique et politique et qui sous-tend idéologiquement l’affrontement électoral entre LREM et RN », conclut Nelly Garnier.

 

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