
Nigeria : une incontestable émergence africaine
Laurence Daziano | 19 mai 2014
Tribune de Laurence Daziano parue sur Le Monde, le 19 mai 2014.
L’enlèvement de 223 jeunes lycéennes au nord-est du Nigeria par le mouvement islamiste Boko Haram a suscité une forte indignation et une mobilisation de la communauté internationale, jusqu’à réunir à Paris, le 17 mai prochain, un sommet sur la sécurité au Nigeria autour des présidents François Hollande et Goodluck Jonathan. Cependant, cet événement, qui dénote une réalité du Nigeria – le développement du terrorisme islamiste après la multiplication des guérillas dans le delta du Niger –, et aussi grave qu’il soit, ne doit pas nous faire oublier l’évolution structurelle du Nigeria qui est, assurément, la grande puissance africaine du XXIe siècle.
Puissance démographique puisque le Nigeria compte 177 millions d’habitants, ce qui en fait déjà le pays africain le plus peuplé. Cette croissance démographique va se poursuivre. Le Nigeria atteindra 250 millions d’habitants en 2025 et 440 millions en 2050. A cette date, il sera le troisième pays le plus peuplé au monde derrière l’Inde et la Chine.
Puissance économique ensuite puisque, à la faveur d’une réévaluation des calculs statistiques du PIB par le FMI, le Nigeria est devenu la première économie africaine avec un PIB de 372 milliards d’euros. Le PIB nigérian était calculé à partir d’indicateurs datant des années 1990 et n’intégraient pas des secteurs tels que la téléphonie mobile, les banques et le cinéma. Or, ces secteurs sont économiquement les plus dynamiques. Le Nigeria est aujourd’hui le plus important marché de téléphonie mobile d’Afrique, avec 167 millions de lignes, et l’industrie du film de Nollywood, qui génère 590 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel, est en forte croissance. Globalement, le taux de croissance a atteint 7% en moyenne depuis dix ans et devrait se maintenir à ce niveau dans la prochaine décennie.
Puissance capitaliste puisque le Nigeria compte une classe d’entrepreneurs exceptionnelle, au sens « schumpetérien » du terme, avec le premier milliardaire africain, Aliko Dangote, magnat du ciment et de l’agroalimentaire qui pèse 20 milliards de dollars, mais également 19 autres milliardaires (soit plus que l’Afrique du Sud) et près de 16 000 millionnaires. Pour cette upper-class nigériane, Lagos, qui abrite 18 millions d’habitants, s’impose comme une grande mégapole mondiale avec le projet de construire un « Dubaï » africain.
Puissance pétrolière puisque le Nigeria est le premier producteur de pétrole du continent africain avec de gigantesques réserves, principalement concentrées dans le delta du Niger.
Puissance politique car le Nigeria est un des rares pays africains disposant d’une armée formée et capable d’intervenir dans des conflits, alors que son poids dans les organisations internationales et régionales ne cessent de croître.
Puissance intellectuelle enfin puisque le Nigeria compte, outre le prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, d’éminents écrivains (Chinua Achebe, Chimamanda Ngozi Adichie) ou responsables internationaux, telle que Ngozi Okonjo-Iweala, actuelle ministre des finances et ancienne directrice générale adjointe de la Banque mondiale.
Certes, le Nigeria est confronté à de gigantesques défis. Le premier est celui de l’unité politique du pays. Etat fédéral, le Nigeria est traversé par une profonde ligne de fracture entre le Nord et le Sud, tenant à la fois en une frontière religieuse (Nord musulman et Sud chrétien), mais également entre un Sud pétrolier, riche, et un Nord désertique, plus pauvre. Le deuxième défi est celui de la corruption qui gangrène la société et l’administration. La démission fracassante du gouverneur de la Banque centrale, l’économiste respecté Lamido Sanusi qui accusait le gouvernement de détournement des recettes pétrolières, en est la meilleure illustration. Le troisième défi est celui du terrorisme islamiste qui, naissant il y a encore deux ans, s’est développé de manière accélérée jusqu’à devenir la nouvelle terre du Jihad africain. Enfin, le quatrième défi est celui des infrastructures, notamment urbaines, dans un pays où les coupures de courant et l’accès à l’eau potable restent problématiques.
Cependant, la vitalité du Nigeria devrait lui permettre, sur le long terme, de résoudre ses difficultés tout en empruntant le chemin de l’émergence avec une population, un sens des affaires et d’innombrables ressources naturelles qui en feront une grande puissance de demain.
Laurence Daziano, Maître de conférences en économie à Sciences Po Paris et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique, auteur de la note La nouvelle vague des émergents.
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