Tribune de Robin Rivaton, parue dans Les Echos, vendredi 19 juillet 2013.
Les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, qui se sont tenues voilà près de deux semaines, avaient des invités d’honneur cette année : le ministre de l’Industrie et le secrétaire d’Etat au Commerce de l’Espagne. L’Espagne ? Venus pour nous parler d’austérité, marmonneront les plus grognons… Mais c’est plutôt l’inverse qui s’est passé. Le constat dressé pouvait faire penser à ce que prédisait le Cercle des économistes à propos du décollage de l’Afrique il y a cinq, six ans…
Le cap sur l’Espagne semble être le meilleur pari à faire sur la sortie de crise de l’Europe à moyen terme. En effet, depuis un an environ, le pays tire les premiers fruits d’une rigueur intelligente que, nous Français, nous contentons d’évoquer sans jamais l’avoir seulement commencée, ni pensée. Les coûts salariaux unitaires ont baissé de 5 %. La réduction des salaires et des prestations sociales a comprimé les importations et a augmenté le volume des exportations. Ainsi la balance des transactions courantes est passée de – 9,6 % à – 1,1 % entre 2009 et 2012, et devrait atteindre l’équilibre cette année.
Il serait erroné de penser que le succès de l’Espagne se bâtit uniquement sur une course à la production à vil prix. Les marges des PME du secteur industriel se sont redressées, abandonnant le dernier rang de la zone euro. Les profits après taxes, intérêts et dividendes, exprimés en pourcentage du PIB, ont plus que triplé, passant de 5 % à 15 %. L’investissement des entreprises espagnoles reste néanmoins atone – quoique l’Espagne égale la France en termes d’achats de robots industriels -, du fait de la frilosité des banques aux conditions de crédit pas assez compétitives.
Mais les investisseurs internationaux affluent vers le pays qui offre une fiscalité avantageuse, notamment au niveau des charges sociales pour les salariés, qui s’élèvent à 6,4 % contre 20 % en France. L’industrie automobile est à la pointe de ce mouvement. En février, l’usine Nissan de Barcelone a reçu un investissement de 120 millions d’euros pour augmenter sa capacité de 80.000 véhicules par an. Ford a transféré la production de ses Mondeo de Genk en Belgique, où l’usine sera fermée, à Valence tandis que PSA a décidé d’accroître ses moyens de production dans son usine de Vigo tout en rationalisant son outil industriel en France. Sur les douze derniers mois, 1 milliard d’euros a été investi dans ce secteur qui emploie directement ou indirectement 12 % de la main-d’oeuvre du pays.
Au fur et à mesure de l’assainissement des bilans bancaires, l’investissement sera de mieux en mieux financé, entraînant la montée en gamme de la production nationale. Le mouvement pourrait encore aller plus vite avec la confiance et l’aide de l’Europe. Voilà quelques jours, l’Allemagne et l’Espagne ont signé un accord pour aider au financement des PME espagnoles, la banque publique d’investissement allemande, KfW, octroyant à son homologue espagnole 800 millions d’euros de prêts à faible taux d’intérêt.
Les effets du plan de réformes espagnol doivent nous interroger. Certes, le modèle de redressement fondé sur l’augmentation des exportations ne fonctionne effectivement que si ces dernières permettent de « surcompenser » la baisse de la demande intérieure. Et s’il conduit, à court terme, à une prédation des marchés extérieurs le rendant inapplicable partout en même temps, il nous invite a minima à penser de manière beaucoup plus radicale notre plan de réformes économiques. La maxime de Blaise Pascal « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » n’est définitivement plus d’actualité.
Par Robin Rivaton, membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique, auteur de Libérer le financement de l’économie, Relancer notre industrie par les robots et LE KAPITAL. Pour rebâtir l’industrie avec Christian Saint-Etienne.
Commentaires
Cet article réussit la performance stupéfiante de vanter le « modèle » espagnol sans jamais mentionner le taux de chômage à 26% en 2012.
L’auteur relève à juste titre que l’investissement productif reste atone (logique avec autant de chômage et une demande anticipée aussi faible), semble dire que ce n’est pas bien grave… car il y a les joies des Investissements Directs Etrangers et de la délocalisation intra-européenne de l’industrie automobile (l’auteur relève bien qu’il s’agit d’un jeu à somme nul mais n’en tire pas les conséquences en terme d’irrationalité -à long terme- de ces stratégies de type « Beggar-thy-neighbours ».
Se féliciter de la réduction du déficit espagnol des échanges tout en déplorant l’atonie de l’investissement productif en Espagne revient à ne pas comprendre qu’il s’agit des deux faces de la même pièce, puisque la langueur de la croissance et le chômage conduit mécaniquement à une réduction massive des importations et donc du déficit extérieur. La flambée du chômage en est le prix.
Je remarque malicieusement que l’auteur n’ose pas faire référence aux questions d’équilibre des comptes publics, et pour cause: l’austérité tant vantée, notamment par ici, a conduit à un tel effondrement des recettes fiscales que le déficit budgétaire n’a pu être réduit qu’au prix de sacrifices délirants au niveau de l’investissement public et de l’aide aux chômeurs.
Enfin, puisque Monsieur Rivaton semble tenter de nous démontrer le bonheur qu’il y a à faire de la déflation via une baisse des coûts salariaux unitaires en Espagne, je suis curieux de savoir comment une hausse (en terme réel) du poids des dettes privés (du fait de la déflation) pourrait constituer une prémisse à la sortie d’une crise espagnole déclenchée par le surendettement… privé!
Robin Rivaton ne mentionne pas la baisse de la population espagnole en 2012, du fait de l’émigration. Comment le « modèle » d’au-deçà des Pyrénées (qui fait fuir ceux qui y vivent) va-t-il rembourser des dettes avec une population en diminution ?
Cet article est une insulte à l’intelligence et à 80 ans d’histoire de la recherche en macroéconomie.
Si l’univers de la presse économique française était constitué de personnes compétentes avec un minimum de recul sur la crise européenne, ce papier n’aurait même pas eu droit à une publication dans le Journal de Mickey.
Donnons-nous rendez-vous dans cinq ou dix ans pour voir le visage de l’Espagne au bout de son glorieux chemin de déflation. Mais je suppose que d’ici là, l’auteur aura trouvé un nouveau « modèle » à vanter (Autriche, Slovénie, Tadjikistan…)
Salutations indignées (je sais c’est très à la mode).
Yoël AMAR.