Assassinats de masse, enlèvements, guerres, terrorisme et exactions en tout genre semblent être le lot quotidien du Moyen-Orient depuis que cette partie du monde est confrontée à un fléau redoutable. Son nom : l’État islamique en Irak et au Levant. Défrayant chaque jour la chronique, les membres de cette organisation massacrent, sans considération d’âge ou de sexe, tous ceux qui refusent d’embrasser leur interprétation particulière de l’islam. Les minorités religieuses, de rite chrétien, yézidis ou chiites, l’ont appris à leurs dépens. Pour certains observateurs avisés, cette mouvance est le fruit de la politique américaine marquée au coin du bellicisme en Irak. Pour d’autres, ce sont des pétromonarchies du Golfe, cyniques à souhait, qui ont armé puis financé ce groupe afin qu’il déstabilise tel ou tel voisin. Quant aux fatalistes, ils estiment que l’État islamique en Irak et au Levant n’est, après tout, qu’une nouvelle vicissitude frappant un monde arabe se mourant de consomption depuis des temps immémoriaux. Leur emboîtant le pas, certains considèrent même qu’il faut taire nos scrupules et soutenir les dictatures arabes en lutte contre ces extrémistes religieux car, aussi liberticides soient-ils, ces régimes, dont certains seraient « laïques », nous protégeraient du spectre islamiste…
Et si, en réalité, l’islamisme, dans ce qu’il a de plus radical, n’était pas cette maladie, tant crainte en Occident, mais le symptôme d’un mal plus profond que nous n’aurions pas diagnostiqué, par simplisme, par aveuglement ou tout simplement par ignorance ? C’est de ce mal dont nous allons parler à présent. Un mal que nous avons nommé crise de la conscience arabo-musulmane.
Cette note a été écrite par Malik Bezouh, physicien de formation, spécialiste de l’islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.
En publiant cette nouvelle note sur l’islam, la Fondation exprime aussi sa volonté de poursuivre ses travaux sur un enjeu politique et religieux dont l’importance et la gravité ne font plus de doute pour personne.
Crédit photo home : Flickr-CC – Brandon Satterwhite
Septembre 2015 | ISBN : 978-2-36408-089-8 | 40 pages
Commentaires
Merci pour votre remarquable analyse , qui redonne de l’espoir à ceux qui croient en la possibilité d’un dialogue apaisé entre l’Islam et l’Occident . Permettez-moi deux questions : 1) L’Islam a longtemps refusé l’imprimerie , outil privilégié , bien sûr , de la diffusion du savoir . N’est-ce pas l’une des raisons expliquant la victoire des partisans du dogme sur ceux prônant un examen critique des textes sacrés , pour en vivre l’esprit plutôt que d’en respecter aveuglément la lettre ? 2) Marcel Gauchet nous a lumineusement expliqué , dans Le désenchantement du monde, que la chrétienté avait été , en Europe , la religion ayant permis » la sortie de la religion » , processus qui prit cinq siècles ? Faut-il s’attendre à un processus aussi long pour que l’Islam accepte les valeurs de la démocratie , à commencer par le respect de l’égalité homme-femme et , bien sûr, de la laïcité ?
Réponse à la première question :
Il est vrai que le retard pris par le monde musulman dans le domaine de l’impression n’a pu qu’aggraver la situation d’appauvrissement de la pensée. Toutefois, ce phénomène de décadence intellectuelle s’amorça bien avant l’apparition de l’imprimerie. Nous pouvons le situer, approximativement, au XIIIe siècle. C’est ce que j’appelle la crise de la fermeture théologique qui eu des répercussions plus que néfastes sur l’essor de la pensée arabo-musulmane.
Réponse à la deuxième question :
L’islam est compatible avec la démocratie. Pour preuve, il existe un principe fort dans la religion musulmane appelé Achoura qui veut dire consultation. Le monde musulman peut donc puiser dans ses références propres et construire une démocratie musulmane, consultative, respectueuse de la pluralité des opinions. Le problème majeur du monde arabo-musulman contemporain est le despotisme politique qui règne en maître dans la plupart des pays arabes. Le djihadisme s’alimente, en partie, de ce despotisme-là. L’on pourrait dire, somme toute, que jihadisme et despotisme sont comme des frères jumeaux…
Oui, en effet, il faudra du temps, et encore beaucoup de drames, de sang, hélas, pour qu’advienne le temps de la démocratie musulmane consultative. Mais ce temps là viendra. Pour ma part, je m’y attèle en apportant ma modeste contribution.
Cordialement.
Malik BEZOUH.