
3 millions d'enfants pauvres en France, et combien demain ?
Marie Viennot | 21 août 2019
Dans sa stratégie de lutte contre la pauvreté, le gouvernement s’est fixé un objectif : diviser le taux de pauvreté des enfants par deux d’ici 2022. Comment ce chiffre est-il calculé ? A quelles privations matérielles fait-il référence ? Quels enfants oublie-t-il sur le chemin ?
Le sort des enfants nous importe. Leur pauvreté peut nous émouvoir, d’un point de vue économique, elle nous appauvrit tous. Le lien entre conditions de vie difficile dans la petite enfance et développement intellectuel, émotionnel, social est établi scientifiquement depuis longtemps. Un enfant pauvre d’aujourd’hui aura plus de difficulté adulte, à s’insérer dans l’économie, encore plus dans un pays qui aspire à devenir l’une des économies de la connaissance les plus compétitive du monde, objectif fixé aux Etats de l’UE par ce qu’on a appelé la Stratégie de Lisbonne.
Il y a un an, le gouvernement a lancé un plan pauvreté qui se met progressivement en place, et mentionne de très nombreux indicateurs, dont un objectif chiffré de réduction de la pauvreté pour les enfants.
D’ici 2022, le taux de privation matériel des enfants devra avoir été divisé par deux. Aujourd’hui, 14% des plus de 16 ans sont concernés. Mais comment ce chiffre est-il calculé ? A quelles privations matérielles fait-il référence ? Quels enfants oublie-t-il sur le chemin?
Misère de la mesure de la misère des enfants
Evaluer la pauvreté, c’est complexe, évaluer la pauvreté des enfants, encore plus, mais c’est un sujet de préoccupation récurrent et en vogue. Institutions, chercheurs, associations et statisticiens rivalisent dernièrement de rapports pour affiner les manières de l’appréhender.
- En juin dernier, la commission du conseil national de l’information statistique, le CNIS a eu pour thème principal, l’enfant comme objet et sujet de la statistique publique.
- En juin 2019, le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’age, un organisme placé auprès du premier ministre a présenté un rapport de 177 pages qui dresse un état des lieux de données publiques sur les enfants et fait des recommandations pour combler les manques.
- En 2018, un document de la Fondation pour l’Innovation Politique : France : combattre la pauvreté des enfants
- En 2017, un rapport de l’ONPES (Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale ): Enfants pauvres enfants démunis, quels indicateurs ?
- En 2012 : un rapport de l’Unicef, lui aussi uniquement sur la mesure de la pauvreté des enfants
Cet attachement fort au sort des enfants démunis n’est pas bien vue de tous. Louis Maurin consacre un article à ce sujet intitulé : Non les enfants pauvres n’existent pas. Pour lui, un enfant pauvre, c’est d’abord un enfant qui est dans un ménage pauvre et mettre toujours l’accent sur eux, c’est « agiter la misère des plus petits pour masquer celle des grands ».
3 millions d’enfants pauvres ? Pas tout à fait…
Commençons par le plus simple (en apparence), la pauvreté monétaire. C’est une convention dans l’Union européenne : est considéré comme pauvre, une personne qui dispose d’un revenu inférieur à 60% du revenu médian, soit en France, 1015 euros par mois pour une personne.
Le revenu médian c’est ce qui sépare la population en deux. 50% a un revenu supérieur à 1015 euros et 50% inférieur. C’est un revenu par personne. Or les sources fiscales dont dispose l’Insee pour le calculer sont au niveau du ménage. Pour calculer ce revenu par personne, on calcule le nombre d’unité de consommation par ménage.
Comme la vie en commun permet de réduire certaines dépenses, on considère (c’est une échelle définie par l’OCDE) que le premier adulte d’un ménage compte pour un, le deuxième pour 0.5, les enfants de plus de 14 ans, 0.5 et les enfants de moins de 14 ans, 0.3.
Les enfants étant considérés sans revenu propre, un enfant pauvre pour l’INSEE, c’est un enfant qui vit au domicile d’un ménage pauvre. Il y a 8 millions 700 000 personnes pauvres en France et parmi elles donc, 2 millions 760 000 ont moins de 18 ans.
Ce qu’il faut retenir, c’est que c’est un million de plus qu’avant la crise financière et que les plus démunis quel que soit leur age ne sont pas comptabilisés.
Pour l’Insee un ménage vit dans un logement (un logement = une entrée indépendante et le confort de base (kitchenette, salle d’eau)), donc tous les enfants qui vivent à la rue, dans des centres d’hébergement d’urgence, à l’hotel, dans des bidonvilles, mais aussi les enfants placés dans des foyers, des centres pour handicapés, en prison, en centre de rétention parce que sans papier ne sont pas comptés dans les 2 millions 760 000. Cela peut expliquer que les responsables politiques, les médias et les associations arrondissent à 3 millions d’enfants pauvres, mais 240 000 d’écart, cela fait beaucoup d’incertitude sur le nombre d’enfants invisibles pour la mesure monétaire.
Combien d’enfants invisibles ?
Ces enfants « hors ménage classique » font l’objet d’autres enquêtes, mais les données à leur sujet sont éparpillées, elles ne partent de la même définition de l’enfant (est-ce après 18 ans, après 16 ans? ), et peinent à analyser les parcours et donc la façon dont les politiques contre la pauvreté infantile améliorent le sort de ces enfants qui en ont le plus besoin.
Le Comité des droits de l’enfant de Genève recommande régulièrement a l’État français d’améliorer son système de collecte de données sur les enfants. (voir page 100 du rapport de 177 pages du Haut Conseil de la famille (organisme placé auprès du premier ministre), qui recommande lui aussi de consolider le socle de données sur l’enfants.
L’autre écueil de cette mesure monétaire c’est qu’elle ne dit rien des conditions de vie des enfants, ou comme l’écrit Alain Supiot dans la Gouvernance des nombres, de « l’inscription dans une société et une culture ». Un ménage pauvre peut très bien préserver ses enfants des privations, et a contrario, écrit l’UNICEF, « l’enfant d’un ménage à revenu élevé ne sera pas comptabilisé comme pauvre, même si la plus grande partie des revenus est dépensée en drogues, jeux d’argent et alcool« .
Il existe donc un autre indice : le taux de privation. C’est ce taux que le gouvernement s’est engagé a diviser par deux pour les enfants. Pour le calculer L’INSEE définit 9 besoins primordiaux.
- Avoir eu des arriérés de paiement du loyer, d’un emprunt hypothécaire ou des factures d’eau/gaz/électricité dans les 12 derniers mois
- Pouvoir chauffer son logement
- Faire face à des dépenses imprévues
- Pouvoir consommer de la viande ou une autre source de protéines au moins tous les 2 jours
- Pouvoir s’offrir une semaine de vacances hors du logement
- Posséder un téléviseur couleur
- Posséder un lave-linge
- Posséder une voiture personnelle
- Posséder un téléphone.
Si trois critères sur 9 ne sont pas satisfaits, le ménage est considéré en privation, et ses enfants avec. Mais quid des besoins des enfants ? De leurs privations à eux ?
Pour mieux les cerner (et suite à de très nombreuses recherches dont certaines présentées ici), Eurostat (organisme statistique européen) a développé un nouvel indice centrés sur les besoins de l’enfant avec à la clef un épais rapport de 177 pages ( les critères de privation pour les enfants sont page 116. Peut il inviter des amis à la maison? A t’il un endroit calme pour faire ses devoirs? Les 13 questions spécifiques de cet indice intitulé : child-specific material deprivation indicators.
Autre problème : les adultes répondent pour les enfants
Tous ces rapports sur la mesure de la pauvreté des enfants abordent aussi les limites de la collecte de données. Actuellement, ce sont les parents qui répondent pour leurs enfants. Le rapport du Haut conseil pour la famille préconise dans son rapport de développer la participation et l’interrogation directe des enfants dans les enquêtes sous réserves d’en tirer des données exploitables dans un cadre éthique.
Retrouvez l’émission dans son intégralité sur franceculture.fr.
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