
Bruno Le Maire prêt à affronter Eric Zemmour pour un premier débat présidentiel
Claire Gatinois | 09 décembre 2021
Le ministre de l’économie devrait être opposé au candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, jeudi 9 décembre, dans l’émission politique « Elysée 2022 » sur France 2.
Longtemps il s’est tenu à distance d’Eric Zemmour. Pourtant, Bruno Le Maire ne pouvait réfréner ici ou là une attaque à l’encontre du nationaliste, chantre, selon lui, d’une France qui « capitule », dénonçant son « goût du mensonge » et ses « provocations » . Mais le ministre de l’économie ne pouvait véritablement l’affronter. Quand bien même l’ascension de l’essayiste dans les sondages en faisait un adversaire politique, il fallait s’interdire de ferrailler avec celui qui n’était encore qu’un polémiste assurant la promotion de son dernier succès de librairie.
Les digues ont sauté. Eric Zemmour est maintenant candidat à l’élection présidentielle de 2022. Et Bruno Le Maire, invité jeudi 9 décembre de l’émission politique « Élysée 2022 » sur France 2, peut, comme il le promettait sur LCI le 15 novembre, « mesurer l’étendue de ses divergences » avec le candidat d’extrême droite. « Je ne laisserai pas mon pays dériver vers le déclinisme. Face à lui, il est impératif de prendre la parole », confie le locataire de Bercy, déterminé à « juxtaposer un autre projet à cette névrose que Zemmour tente de nous imposer».
Poids lourd du gouvernement, habitué des médias, où il parle pouvoir d’achat comme géopolitique, le ministre de l’économie sera donc en première ligne pour défendre le chef de l’État, Emmanuel Macron, pas encore candidat.
Au sein de la Macronie, rares sont ceux à douter de l’ascendant que pourrait avoir le politique sur l’ancien chroniqueur du Figaro . Enarque, diplômé de Normale-Sup, écrivain à ses heures, le quinquagénaire, ex-membre du parti Les Républicains (LR), adhérent depuis 2017 à La République en marche (LRM), le mouvement présidentiel, est jugé suffisamment calé pour tenir la contradiction face à un homme qui se plaît à multiplier les références littéraires et historiques. « Bruno Le Maire est un bon choix. Eric Zemmour aura face à lui un gaulliste qui sait de quoi il parle », avance Roland Lescure, député des Français de l’étranger et porte-parole de LRM à l’Assemblée nationale.
Dans le camp d’Eric Zemmour, on se félicite aussi de pouvoir mesurer le candidat à un homme qui, lors d’un précédent débat organisé par Valeurs actuelles en 2019, avait su se montrer « courtois », lors d’échanges « de bon niveau et sans invective », souligne Stanislas Rigault, président de Génération Z.
Montrer d’éventuelles failles
Au sein des troupes du chef de l’État, d’autres étaient prêts à croiser le fer avec celui qui est vu comme l’« antimodèle » d’Emmanuel Macron. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, notamment, rongeait son frein. Mais le benjamin du gouvernement vient de la gauche quand Bruno Le Maire se revendique toujours en homme de droite. Même si ce clivage hérité de « l’ancien monde » est banni chez les « marcheurs » au nom du « dépassement », le père de famille assume d’être un homme qui a « été élevé dans un milieu où on aimait l’ordre, on allait à la messe le dimanche, on préférait Stendhal à Michel Foucault », et où l’« on cirait ses chaussures le dimanche matin », comme il l’a raconté en plaisantant à Europe 1 mi-octobre.
En incarnant cette France conservatrice qu’Eric Zemmour tente d’attirer, l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy évite d’entrée un combat polarisé. « C’est la droite qui parle à un homme qui prétend rassembler les droites », souligne Roland Lescure. « Bruno est celui qui est le plus au barycentre de notre majorité et sans doute celui qui a la maîtrise des sujets politiques la plus large », ajoute Gilles Le Gendre, député (LRM) de Paris.
Bruno Le Maire ne dévoile pas sa tactique mais prévient. « Nous débattrons de tout. Un projet pour la France, ça inclut les questions culturelles, les questions migratoires, les questions économiques, les questions financières. La France est un tout et le projet doit être un tout, donc je suis prêt à débattre de tous les sujets avec monsieur Zemmour », a-t-il signalé sur Europe 1, dimanche 5 décembre.
Ancien du Quai d’Orsay passé au ministère de l’agriculture, habitué des sommets internationaux mais aussi « homme de terrain » – il fut député de l’Eure –, Bruno Le Maire sait parler des sujets dont il n’a pas directement la charge en étant étiqueté comme « un homme de dossiers » . Un profil qui pourrait obliger Eric Zemmour à sortir de ses thèmes de prédilection que sont l’identité de la France, qu’il juge en danger, et le prétendu péril de l’immigration. De quoi mettre en lumière d’éventuelles failles programmatiques. « Eric Zemmour n’est que dans le monde des idées. Bruno Le Maire peut à la fois lui opposer une vision de la société et l’obliger à aller au fond des choses », pense Stanislas Guerini, délégué général de LRM. D’autant, dit-il, qu’ « il est difficile de lui donner des leçons ».
Un profil qui pourrait le desservir
Les centaines de milliards d’euros déversés à l’occasion du « quoi qu’il en coûte » pour éviter le naufrage de l’économie mise à l’arrêt par la pandémie de Covid-19 ont fait de Bruno Le Maire un homme reconnu pour ses compétences et son pragmatisme. A l’heure où le passé peut vite devenir un passif, ce dernier veut vanter le bilan économique du gouvernement. Et si le déficit abyssal de la balance commerciale est, aux yeux d’Eric Zemmour, le symptôme évident du déclin français, le ministre peut faire valoir la décrue du chômage, l’amorce d’une réindustrialisation du pays et le plan d’investissement France 2030 pour le projeter vers l’avenir. Beaucoup au sein de la majorité présidentielle espèrent ainsi « coincer » le polémiste. Peut-être même lui faire perdre son sang-froid.
Mais l’étendue des compétences du locataire de Bercy pourrait ne pas suffire. Certains visiteurs du soir de l’Élysée se méfient des connaissances économiques du polémiste, se souvenant de ses précédents débats face à Alain Minc ou au journaliste économique de TF1 François Lenglet. « Bruno Le Maire est d’une autre stature », veut croire Christian Estrosi, maire de Nice, ex-LR et soutien d’Emmanuel Macron.
Mais il y a plus dangereux : l’habileté du ministre de l’économie, son allure de technocrate et de représentant de ces élites à qui tout réussit pourrait le desservir. « Les gens n’aiment pas les donneurs de leçons ni les premiers de la classe », avertit Dominique Reynié, directeur général du think tank Fondapol. « La défiance envers le monde politique est si massive que même une démonstration peut échouer. Le téléspectateur dira : “Ce monsieur parle très bien, mais mon pouvoir d’achat a baissé.” Dans ce contexte, Eric Zemmour a un atout : il n’est pas comptable de ses actes. Il suffit qu’il brandisse une facture de gaz [dont les prix ont flambé ces derniers mois] pour marquer les esprits », souligne-t-il.
Lire l’article sur lemonde.fr.
Aucun commentaire.