Comment donner aux jeunes l’envie de voter ?
Eliott Mamane | 12 novembre 2021
Abaissement de l’âge du droit de vote, campagnes sur les réseaux sociaux, éducation civique et morale… Marlène Schiappa a livré quelques pistes.
Ce 9 novembre, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté était auditionnée dans le cadre de la mission d’information sur la participation électorale ouverte à la suite de l’abstention massive lors des régionales et départementales de juin et présidée par le député LR Xavier Breton. Refusant de croire à une dépolitisation des Français, Marlène Schiappa a souligné l’engagement de ces derniers dans « différentes causes qui aboutissent au ministère de l’Intérieur, par exemple, la question de l’égalité femmes-hommes », mais aussi du climat, de la chasse, « de la protection des frontières ou de l’accueil des réfugiés ». Cette déconnexion entre les citoyens et leurs gouvernants ne signifierait donc pas un désintérêt pour la chose politique en général. Dès lors, elle a indiqué que des efforts devaient être initiés pour mieux informer les électeurs, mais a aussi invité à réfléchir à la levée « de freins matériels » dans l’accès au vote. Dans une perspective de « modernisation » de la vie publique, elle a fait part de modifications prenant effet dès l’an prochain.
En premier lieu, les délais d’inscription sur les listes électorales seront étendus. Habituellement closes le 31 décembre précédant le scrutin, elles seront ouvertes jusqu’au vendredi 4 mars 2022, six semaines avant le premier tour. Par ailleurs, elle a évoqué un projet de centralisation des listes, sous la direction de l’Insee, qui faciliterait les démarches en cas de changement de domicile. Marlène Schiappa a aussi indiqué que les demandes de procuration seront pleinement dématérialisées. Elle a néanmoins annoncé que la possibilité, du fait de la crise sanitaire, d’émettre une double procuration serait abandonnée. En outre, elle a écarté le vote à distance, en raison de verrous juridiques plus qu’idéologiques.
Pour « recréer de l’engouement pour le vote », la ministre espère une meilleure diffusion des informations relatives aux modalités de l’élection. Elle a confirmé la mise en place de campagnes à destination des jeunes notamment, en collaboration avec les acteurs du numérique (évoquant Facebook, Snapchat et TikTok). Enfin, elle a salué l’éducation des nouvelles générations « sur la sécurité routière, le tri et le rapport à l’environnement », et souhaité que l’initiation à la « question citoyenne » rencontre un succès équivalent.
Deux rapports contradictoires
Parallèlement aux auditions, la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation pour l’innovation politique ont chacune rendu un rapport sur les liens qu’entretiennent les Français avec leurs institutions. Puisque Marlène Schiappa a beaucoup insisté sur les « jeunes » (au risque de les résumer à une « bio-classe », pour citer Edgar Morin), il est intéressant d’évoquer la question du vote à seize ans, sur laquelle reviennent les deux cercles de réflexion susmentionnés. La Fondation pour l’innovation politique rappelle que, dans une résolution en 2015, le Parlement européen s’est montré en faveur d’un abaissement de la majorité électorale pour pallier la démobilisation massive des nouvelles générations. Mais, en s’appuyant sur les propos de l’universitaire Céline Braconnier et une étude de la situation dans d’autres pays européens (comme l’Autriche), le rapport met en garde quant aux effets minimes sur la participation au long terme d’un droit de vote dès seize ans qui, à tout le moins, devrait être adossé à des « mesures d’accompagnement et de sensibilisation à l’importance du vote ». Dans une note de Dorian Dreuil, la Fondation Jean-Jaurès, marquée plus à gauche que la Fondapol, considère en revanche qu’un abaissement de la majorité électorale serait un « progrès démocratique ». En se référant notamment à un livre de Céline Braconnier (l’universitaire pourtant citée par la Fondapol) et Nonna Mayer, l’auteur affirme « que plus on vote tôt, plus on a de chances de voter durablement ». Puis il évoque, comme Marlène Schiappa, la nécessité d’une « éducation civique et morale » et le développement d’une « démocratie du quotidien » pour « intéresser à nouveau les citoyens aux opérations de vote ».
D’ailleurs, l’abaissement de la majorité électorale est l’un des points de persistance du clivage droite/gauche. Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot se sont tous les trois prononcés en faveur d’un droit de vote, au niveau national, dès seize ans. La question parvient à scinder les Marcheurs de la première heure, puisque l’éphémère groupe parlementaire Écologie Démocratie Solidarité, créé par des frondeurs du macronisme et se situant à la gauche de la majorité présidentielle, a soutenu cette mesure à laquelle Jean Castex, par exemple, s’oppose. La droite de l’échiquier politique est moins permissive. Ne s’intéressant guère au concept de « jeune », elle préfère rappeler à la jeunesse que tout droit subjectif implique par définition un devoir correspondant…
Quoi qu’il en soit, le gouvernement se doit de réfléchir minutieusement à la manière dont il encouragera les Français à prendre part aux élections : il ne faudrait pas que le procès en infantilisation concernant la crise sanitaire soit élargi à la gestion de la vie publique. D’autant que, comme le soulignent les chercheurs Antoine Bristielle et Tristan Guerra dans le rapport de la Fondation Jean-Jaurès, il est difficile de tirer des conclusions générales sur la base d’élections locales : « Parce que la présidentielle rassemblera un électorat plus de deux fois plus large que celui qui s’est mobilisé lors de ces élections intermédiaires, et surtout sur des bases sociologiques et politiques très distinctes, les résultats électoraux seront fondamentalement différents. »
Dominique Reynié (dir.), Rapport pour l’assemblée nationale. Mission d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, (Fondation pour l’innovation politique, novembre 2021).
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