Dominique Reynié: «L’alliance gauche modérée-gauche radicale ouvre la voie à la réciprocité à droite»
Dominique Reynié | 05 mai 2022
TRIBUNE - Le professeur des universités, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique, analyse la portée de l’accord politique et électoral en cours entre Jean-Luc Mélenchon et tous les partis de gauche et d’extrême gauche.
Le Parti socialiste d’Olivier Faure est sur le point de signer un accord politique avec Jean-Luc Mélenchon, le leader du parti La France insoumise dont le programme promet de «balayer l’oligarchie» et d’«abolir les privilèges de la caste», avant de dérouler des propositions anticonstitutionnelles – comme la révocation des élus -, d’annoncer vouloir introduire le droit de réviser la Constitution en recourant au «référendum d’initiative citoyenne», ou encore annonçant une loi d’amnistie, notamment pour «les “gilets jaunes” qui ont été condamnés pour leur participation à la vie publique» (sic). Sur l’Europe, il est question de «conditionner la contribution française au budget de l’Union européenne» (n° 69), de «désobéir (aux traités) à chaque fois que c’est nécessaire pour mettre en œuvre notre programme» (n° 70), cette désobéissance s’appliquant aussi aux «règles budgétaires». Sur l’Otan (n° 72), il s’agit d’en partir. Et ainsi de suite.
Il ne s’agit pas de dénoncer ici ces propositions ou de prétendre qu’elles sont irrecevables. Les électeurs nous diront bientôt ce qu’ils en pensent. Différemment, il s’agit de souligner que cette rhétorique et ces propositions se retrouvent dans le programme de Marine Le Pen et du RN. Or, dans le débat public, ces jours-ci, on interroge la pertinence électorale de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, on cherche à estimer le nombre de sièges, on soupèse l’habileté de Mélenchon ou la tragédie des socialistes, mais on ne se demande guère pourquoi Olivier Faure au nom du PS peut signer un accord avec Jean-Luc Mélenchon et LFI tandis que des discussions de Christian Jacob avec Marine Le Pen en vue d’une alliance auraient déclenché une tempête politique et médiatique débouchant sur des condamnations morales et un appel au «front républicain» contre la droite LR «démasquée».
À l’aune des craintes qui ont pu inspirer l’idée d’un «front républicain», on ne sait pas pourquoi Jean-Luc Mélenchon serait moins inquiétant que Marine Le Pen. La dérive communautariste de sa politique n’est pas plus en harmonie avec les idéaux de la République que le souverainisme xénophobe puisqu’elle le conduit, lui et son parti, à multiplier les coups de canif contre la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté d’opinion, la liberté de la presse et de caricature, etc.
De même, on comprend mal pourquoi le PS n’a pas été empêché par les innombrables dérapages de Jean-Luc Mélenchon. Comment, à quel prix, compter pour rien nombre de ses propos? Le 15 juillet 2020, quand il lançait sur BFMTV: «Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, mais je sais que, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes qui l’y ont mis», amenant l’association Amitié judéo-chrétienne à rappeler que «cette thèse ancienne de la responsabilité du peuple juif dans la mort de Jésus, rejetée depuis des décennies par tous les historiens et exégètes et condamnée par l’ensemble des Églises, a donné naissance, on le sait, à un antijudaïsme mortifère et à un antisémitisme dont l’aboutissement fut la Shoah».Le 28 octobre 2021, sur la même chaîne, c’est lui qui estimait que «monsieur Zemmour ne doit pas être antisémite parce qu’il reproduit beaucoup de traditions liées au judaïsme». Le 6 juin 2021, sur Franceinfo, il n’a pas hésité à soutenir une interprétation complotiste des massacres perpétrés par Mohammed Merah, effaçant la cause islamiste de la tuerie: «Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Ça a été Merah en 2012 (…) Tout ça, c’est écrit d’avance.»
On voit mal en quoi ses sympathies internationales le distingueraient heureusement de Marine Le Pen et de son poutino-trumpisme. Il est tout de même frappant de constater que Mélenchon n’a que des propos admiratifs, aimables ou compréhensifs pour la Russie de Poutine, le Venezuela de Chavez ou Maduro, l’Iran des mollahs ou la Chine de Xi Jinping.
Il sait pourtant être sévère avec les démocraties, les États-Unis ou Israël en particulier. Le 24 août 2014, après les violentes manifestations pro-palestiniennes et les sinistres attaques de synagogues, à Paris et à Sarcelles, le leader de La France insoumise évoquait bien «quelques excès» provenant de «quelques énergumènes», mais son propos principal était ailleurs: «La République, c’est le contraire des communautés agressives qui font la leçon au reste du pays», ajoutant «nous ne croyons pas aux peuples supérieurs aux autres».
Selon les critères fondamentaux de la politique en France depuis le milieu des années 1980, l’accord du PS, d’EELV et du PC avec La France insoumise n’aurait pas dû être possible. Il fera donc jurisprudence. Désormais, un parti de gouvernement peut faire alliance avec un parti populiste, eurosceptique, capable d’exposer la Constitution de notre République aux risques du référendum d’initiative populaire. Conséquemment, il n’est plus possible d’opposer le «front républicain» à des projets d’alliance symétriques, par exemple entre LR et RN. L’arrivée à l’Assemblée nationale de parlementaires RN, sans doute plus nombreux, lors des élections législatives de juin, pourrait favoriser ce processus de rapprochement entre les partis de droite, et d’autant plus aisément que la gauche est la première à avoir fait ce pas.
L’implication de tous les partis de gauche et d’extrême gauche dans les discussions et l’accord avec La France insoumise, jusqu’au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou, signifie d’abord que le «front républicain» est arrivé au terme de son existence. L’événement est d’autant plus déterminant que ce «barrage» est une invention de la gauche. Né à gauche, il meurt à gauche.
Mais cela signifie aussi qu’à la perte de leurs électeurs, le PC, EELV et plus encore le PS viennent d’apporter ce qui pourrait être la plus mauvaise des réponses, soit le renoncement aux principes par lesquels ils pouvaient demeurer ou devenir des partis de gouvernement, statut qui conditionne la possibilité d’un retour au pouvoir.
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