Dominique Reynié: «L’écologisme permet à la gauche de recycler son vieux combat contre le capitalisme»
Dominique Reynié, Vincent Trémolet de Villers | 12 novembre 2023
GRAND ENTRETIEN - Pour le directeur général de la Fondapol, l’objectif, légitime, de lutte contre le réchauffement climatique est aujourd’hui accaparé par un écologisme intolérant.
LE FIGARO. – Alors que certains demandent un délai sur les passoires thermiques (Bruno Le Maire et Édouard Philippe), d’autres refusent d’appliquer le « zéro artificialisation nette » dans leur région (Laurent Wauquiez) ou dénoncent l’écologie bureaucratique de fragmentation (David Lisnard). La politique climatique est-elle en train de devenir un clivage politique ?
Dominique REYNIÉ. – Oui, et c’est d’autant plus significatif que les critiques émanent d’élus, notamment d’élus locaux importants, et que le différend ne porte pas sur la réalité du réchauffement climatique, mais sur les réponses à lui apporter. On peut estimer que ces réponses posent des problèmes de fond.
D’abord, elles n’ont pas fait l’objet d’une véritable discussion générale, elles ne sont pas le fruit d’un grand débat national, encore moins européen, conduisant à adopter les politiques climatiques aujourd’hui en cours de déploiement. Ensuite, on ne voit pas non plus de quelles élections ces politiques sont le résultat.
Lors des élections européennes de 2019, le total des votes en faveur d’une liste écologiste n’a été que de 9,4 % pour l’ensemble de l’Union européenne. En France, en 2022, ni l’élection présidentielle ni les élections législatives n’ont donné lieu à une percée de l’écologisme. Cette réalité peut étonner dans le contexte du réchauffement climatique et de l’intense communication à propos de cet enjeu, désormais omniprésent dans les médias, très présent à l’école et à l’université, dans les administrations, dans le marketing et la publicité, etc.
Les politiques climatiques mises en place procèdent davantage d’accords entre des chefs d’État et de gouvernement, de négociations entre des groupes parlementaires européens ou nationaux, que d’une percée électorale des écologistes. C’est la raison pour laquelle les défenseurs de ces politiques climatiques privilégient le recours à l’autorité de l’expertise, généralement il s’agit du Giec.
Mais cela revient à considérer que les décisions sont prises au nom de vérités scientifiques, et par conséquent que les citoyens ne peuvent prétendre les contester, faute d’avoir la compétence requise. C’est d’autant plus problématique que certains membres du Giec n’hésitent pas à utiliser leur autorité scientifique pour exprimer des opinions politiques. Lorsque Jean Jouzel estime que le capitalisme est antinomique avec les politiques climatiques, il ne parle plus en climatologue.
De fait, telle que les Européens la voient se déployer, la lutte contre le réchauffement climatique se révèle idéologiquement orientée : centralisation, bureaucratisation, planification, hyperréglementation, fiscalisation, méfiance ou hostilité à l’égard du capital, de l’entreprise et du profit… sont des caractéristiques d’une politique de gauche. Dans une Union européenne électoralement plus à droite que jamais, la contradiction est en passe de devenir problématique.
Cette contradiction installe dans l’opinion l’impression d’un forçage de l’agenda gouvernemental. L’impression est grandement favorisée par l’usage abusif du thème de « l’urgence climatique », car l’idée même de discussion suppose de prendre le temps.
Je conseillerais aux politiques et aux médias de se défaire de cette notion d’« urgence climatique ». Selon les informations fournies par les experts, il est dit que le réchauffement va trop vite pour pouvoir être évité et que les températures ne baisseront pas avant très, très longtemps.
Une PPL transpartisane vise à rendre délictueux le climatoscepticisme, mais pour beaucoup cette notion ne concerne plus seulement le fait de nier le réchauffement ou la part de l’homme dans le réchauffement, mais simplement de discuter les solutions. Que vous inspire cette dérive ?
Quoi qu’on pense de l’opinion climatosceptique, on ne peut l’interdire. Il serait paradoxal de voir le législateur œuvrer au recul des libertés, s’abandonner à l’illibéralisme qu’il reproche, à juste titre, à la Pologne ou à la Hongrie. Le bâillon législatif n’est pas la seule ni la principale menace pesant sur la liberté de discussion, notamment s’agissant des enjeux climatiques.
Un écologisme intolérant s’active à étouffer le débat public, au nom d’une sorte d’altruisme autoritaire. C’est un des aspects de notre époque, avec le retour de l’inquiétude eschatologique et d’un fanatisme doctrinaire dont la puissance d’expression est décuplée par les outils numériques. Il est pourtant évident que la libre discussion sur la politique climatique est la seule façon d’éviter qu’elle ne devienne le moteur électoral supplémentaire du populisme, en Europe et en France.
Que répondre à ceux qui considèrent que l’urgence nécessite de ne pas s’encombrer de la force d’inertie des démocraties libérales : débats, compromis, vote etc. ?
Susciter l’inquiétude, culpabiliser – on ne peut refuser de « sauver la planète » -, invoquer l’obligation, l’urgence, donnent le sentiment que l’on veut contraindre l’opinion publique. Confrontés au scepticisme, aux résistances, voire à l’hostilité de citoyens, les promoteurs des politiques climatiques répondent que « nous n’avons pas le choix ». Dans ce cas, c’est la démocratie qui devient le problème, puisqu’elle suppose l’existence d’un choix. C’est pourquoi l’enjeu climatique favorise l’émergence d’une nouvelle tendance illibérale, cette fois à gauche.
Que répondre à ceux qui considèrent que l’urgence nécessite de ne pas s’encombrer de la force d’inertie des démocraties libérales : débats, compromis, vote etc. ?
Susciter l’inquiétude, culpabiliser – on ne peut refuser de « sauver la planète » -, invoquer l’obligation, l’urgence, donnent le sentiment que l’on veut contraindre l’opinion publique. Confrontés au scepticisme, aux résistances, voire à l’hostilité de citoyens, les promoteurs des politiques climatiques répondent que « nous n’avons pas le choix ». Dans ce cas, c’est la démocratie qui devient le problème, puisqu’elle suppose l’existence d’un choix. C’est pourquoi l’enjeu climatique favorise l’émergence d’une nouvelle tendance illibérale, cette fois à gauche.
Peut-on craindre des réactions aussi soudaines et spectaculaires aux règles de détails de la politique climatique française et européenne (maison, voitures, chaudières, agriculture…) ?
Oui, d’autant plus que la politique climatique engendre une hyperréglementation et une fébrilité normative qui induisent inévitablement une paupérisation des ménages, le plus souvent modestes puisque le revenu médian dans l’Union européenne est de 1500 euros par mois. Toute altération des conditions de vie est donc fortement ressentie. Les classes populaires, ainsi que toutes les classes sociales hors des métropoles, sont les plus touchées par des programmes gouvernementaux de dégradation du mode de vie.
Les ménages n’y consentiront jamais. C’est ce que montrent la crise des « gilets jaunes », à la suite de l’introduction d’une « taxe carbone », ou encore, aux Pays-Bas, la protestation du monde agricole contre des programmes de transition, à l’exemple du Mouvement agriculteur-citoyen (le BBB, pour BoerBurgerBeweging), né pour combattre le projet de réduction de 50 % d’ici à 2030 des émissions de CO2 ; en témoignent enfin les dernières élections régionales allemandes, dans le Land de Hesse et en Bavière, où les partis de la coalition gouvernementale ont fortement reculé, au profit de la droite et de la droite populiste, en particulier l’AfD, connue pour sa défense de l’automobile, véritable clé patrimoniale des classes populaires et moyennes européennes.
Prenons garde ! Le lien entre la démocratie et la croissance est essentiel. C’est à partir de la fin du XIXe siècle que la démocratie s’est implantée ; cela n’aurait pas pu se faire sans le développement économique, sans le progrès social qui en a découlé, et grâce au suffrage de masse qui a conféré un pouvoir législatif indirect au mouvement ouvrier. En réalité, la démocratie doit beaucoup à l’industrialisation, c’est-à-dire à la carbonation des sociétés.
La décarbonation est indispensable, mais mal pensée, mal conduite, elle engendrera le processus inverse. Le projet de décroissance, plus ou moins assumé, parfois euphémisé avec le mot de « sobriété », n’est pas seulement un programme anticapitaliste, c’est aussi un chemin rapide pour en finir avec la démocratie.
Entre les mesures prises à l’échelon supranational et les revendications des militants radicaux, cet écologisme ne remet-il pas aussi en cause le rôle des États dans la conduite de la politique climatique ?
La pression de cet écologisme électoralement minoritaire s’exerce au niveau national et européen. Il finit par orienter l’ensemble des politiques publiques. Il exerce une contrainte systémique sur les États, ainsi réduits au statut d’autorité déléguée. Tout se passe comme si des forces politiques minoritaires au niveau national parvenaient cependant à gouverner en passant par le niveau européen.
Une part significative des ressources des États sont ainsi absorbées de façon contrainte, réduisant leurs capacités à garantir leurs missions fondamentales. Or les États ont le devoir d’assurer leur puissance, leurs moyens militaires, la souveraineté alimentaire, énergétique, la croissance économique, les innovations technologiques et scientifiques, instruments de leur puissance au XXIe siècle.
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