Dominique Reynié : «Nous avons rendu la France particulièrement attractive pour les migrants»
Dominique Reynié, Etienne Campion | 10 mars 2023
Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), nous a présenté les conclusions de sa note sur la façon dont la France pourrait s'inspirer des politiques migratoires des différents États européens. Il faut faire de l’immigration le sujet d’un débat public éclairé et appuyé sur des chiffres clairs, argumente-t-il.
Dans le sillage de sa note sur la politique d’immigration danoise, la Fondapol vient de faire paraître en ce début du mois de mars 2023 une analyse comparée sur la stratégie migratoire des différents États européens. Dans Immigration : comment font les États européens, le think tank libéral, progressiste et européen, pointant le défaut de « vision stratégique de la France » en la matière, établit une liste de mesures prises par d’autres États européens dont notre pays pourrait s’inspirer. Il milite pour une transparence sur les chiffres de l’immigration, essentielle à un débat éclairé qui ne soit plus prisonnier des outrances d’une part et de l’aveuglement militant de l’autre.
Marianne : « Après avoir réalisé un tour d’Europe des politiques nationales d’immigration, au terme de cette étude, il est clair que la France n’a pas su se doter d’une vision stratégique en la matière. » À quoi cela est-il dû, selon vous ? Au fait que « nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de dire précisément quels intérêts nous avons à l’immigration, quelles sont nos préférences, quels sont nos objectifs » ?
Dominique Reynié : L’une des grandes raisons tient à une sorte de révolution culturelle au sein de nos élites, visible à partir de la décennie 1980, lorsque le sentiment humanitaire a pris le pas sur le jugement politique, lequel suppose de décider du point de vue de l’intérêt d’État. C’est pourquoi nous n’avons pas de vraie politique d’immigration et que nous lui avons substitué une politique d’accueil. Nos élites se sont abandonnées à une culture compassionnelle, en se plaçant du point de vue des migrants et de non de la population d’accueil.
La gauche est devenue incapable d’assumer une politique de sélection et d’intégration des arrivants. De fait, elle s’est ralliée à la thèse de « l’accueil inconditionnel » qui est aussi celle du pape François. Puis la droite, de nature craintive, s’est ralliée à la gauche. La politique d’immigration a été peu ou prou laissée à l’abandon.
« L’attractivité de notre pays attire à nous des personnes qui ne parviendront pas à s’intégrer. Elle pousse des migrants à courir des risques considérables. Elle encourage les trafics organisés par la mafia des passeurs ». Vous voulez dire qu’il s’agit d’envoyer un « message politique » aux potentiels migrants ?
De décision humanitaire en décision humanitaire, nous avons rendu notre pays particulièrement attractif pour les migrants : la couverture médicale gratuite pour les clandestins, le maintien sur le territoire national d’immigrés irréguliers que nous n’expulsons presque jamais, à la différence de tous nos voisins, un accès au regroupement familial ou à la nationalité plus rapide et simple qu’ailleurs, etc. En France, un candidat à l’asile peut être logé et recevoir 204 euros par mois au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) ou bien 426 euros par mois s’il n’est pas logé.
Ce demandeur aura également accès au régime commun de l’assurance maladie, pendant la durée d’instruction de sa demande, soit en moyenne 479 jours en 2021. Cela donne donc une ressource sur un an, hors l’accès aux soins, entre 2 448 et 5 112 euros. À titre indicatif, en Afghanistan, le revenu annuel net par habitant est de 475 dollars, il est de 1 999 dollars au Bangladesh et 417 dollars en République démocratique du Congo, qui sont trois des cinq principaux pays de provenance des demandeurs d’asile.
Alors, qu’est-ce que font les autres pays d’Europe, que nous pourrions faire et que nous ne faisons pas ?
La plupart des pays européens ont adopté des mesures que nous pourrions reprendre. Rien ne s’y oppose. Ainsi, la Finlande qui, en cas de doute sur l’âge d’un étranger se déclarant mineur isolé et s’il y a refus de sa part sans raison valable d’un test osseux pour déterminer son âge, le considère et le traite comme un adulte. Ou encore, l’Autriche, l’Allemagne et le Danemark qui ont institué un examen final obligatoire afin de vérifier que le migrant a bien atteint le niveau de langue requis pour l’obtention d’un nouveau permis de séjour. Nous pourrions également porter à 9 ans le nombre d’années de résidence nécessaires pour la naturalisation, au lieu de 5 ans en France actuellement. Cela nous placerait au niveau de l’Allemagne (8 ans), du Danemark (9 ans), et des pays qui exigent 10 ans, tels que l’Autriche, l’Espagne, l’Italie, la Lituanie, la Pologne ou la Slovénie. Etc.
Nous ne veillons pas assez à l’intégration des individus ?
Nous n’avons pas de tests pour vérifier le succès de nos formations linguistiques et civiques. La présence à ces formations n’étant même pas obligatoire. Nous permettons l’accès à la nationalité à des personnes qui ont été condamnées à des peines de prison ferme. Ailleurs, ce n’est pas le cas. En Allemagne ou au Danemark, n’importe quelle peine de prison avec sursis vous interdit définitivement l’accès à la nationalité. En Allemagne, l’obtention de la nationalité est d’ailleurs impossible en cas de condamnation pour acte antisémite, raciste ou xénophobe.
Sur le regroupement familial, nous devrions le rendre moins aisé qu’aujourd’hui. Là aussi, nous sommes les moins exigeants. Mais d’abord, c’est en amont que nous devrions agir : contrôler l’entrée sur notre territoire, sélectionner, intégrer beaucoup plus rigoureusement sur le plan linguistique, culturel, professionnel.
Que raconte notre impuissance sur le sujet des OQTF ? Les autres pays européens parviennent-ils mieux à gérer le sujet ?
Les données sont claires. Nous avons un taux d’exécution des OQTF (obligation de quitter le territoire français, NDLR) de 12 %. La moyenne européenne est de 43 % et l’Allemagne est à 60 %. Or, ce point est décisif. Dès lors qu’il est connu que la France n’expulse pas ceux qui sont présents illégalement sur son territoire, la conclusion est claire : il faut tout faire pour venir, puisque vous avez l’assurance non seulement de rester mais aussi d’accéder à un système de soins très supérieur à celui de votre pays de départ.
Externaliser la gestion de l’immigration, une idée concevable selon vous ?
Je note une tendance européenne à associer des pays tiers à la gestion de l’immigration en général et de l’asile en particulier. C’est le cas de l’Italie avec la Libye, c’est le cas de l’Espagne avec le Maroc, du Danemark avec le Kosovo et le Rwanda et même de l’Union européenne avec la Turquie.
« Il faut donc faire de l’immigration le sujet d’un débat public éclairé et récurrent, en ce qui concerne les opportunités que ce phénomène peut représenter comme en ce qui concerne les problèmes qu’il peut poser » écrivez-vous. Le problème se pose donc d’abord sur le plan du débat…
Clairement, oui. Il est stupéfiant de voir que nous ne savons même pas si l’immigration nous coûte ou si elle nous rapporte. Selon une étude de l’OCDE de 2018, le bilan économique de l’immigration est plutôt positif, sauf dans quelques pays, dont la France. Selon ces estimations, le coût annuel est compris entre 20 et 33 milliards d’euros. On connaît le coût de l’Aide médicale de l’État (1 milliard d’euros) mais pas celui des 30 000 permis de séjour pour soins. Sait-on le coût des logements sociaux ? Connaît-on le taux d’emploi des immigrés ?
Au Danemark, où ces données sont à la disposition du public, on sait que la moitié ou moins de la moitié des Afghans, des Syriens, des Irakiens et des Somaliens sont sans emploi et qu’il en va de même pour plus d’un tiers des Pakistanais, des Sri-Lankais et des Turcs, contre 18 % en moyenne nationale. Cela permet d’interroger la pertinence de l’argument selon lequel l’immigration répondrait à nos problèmes de main-d’œuvre.
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