Du Danemark à la France, le mauvais combo social-démocratie et nationalisme gagne du terrain

Thomas Legrand | 13 février 2023

Un mouvement idéologique, hybride inquiétant entre la préservation de l’Etat social et une politique migratoire conservatrice, progresse en Europe, au point de passer pour une solution raisonnable.

National-social-démocratie, ou welfare-nationalisme. Il faudra trouver un qualificatif pour une tendance, un mouvement idéologique naissant, hybride inquiétant entre le nationalisme et la social-démocratie. Le Danemark, vieille terre de social-démocratie, en est l’inventeur. La Fondation pour l’innovation politique, think tank libéral de centre droit, vient de publier un fascicule de 80 pages détaillant les éléments de la politique migratoire menée par les deux dernières majorités en place à Copenhague. Avant 2019, les sociaux-démocrates, les conservateurs et les libéraux étaient au pouvoir. Ils ont globalement préservé l’Etat-providence qui structurait la vie économique et sociale danoise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En revanche, ils ont drastiquement durci les conditions d’accueil des immigrés, rendant complexe et longue l’accession à la nationalité.

Le gouvernement d’alors avait aussi imposé aux nouveaux arrivants de se conformer aux us et coutumes locales pour préserver une certaine «homogénéité nationale». Rien d’ethnique ou de religieux, mais une obligation de rentrer dans le moule (au moins en apparence) danois. La droite au pouvoir avait agi ainsi pour couper l’herbe sous le pied d’une extrême droite conquérante. En politique, faire ce que ses opposants proposent pour tarir leurs arguments, ça se dit «trianguler». Un autre terme pourrait être proposé : la «capitulation tactique». Sauf que là, il semble bien qu’il s’agisse de conviction partagée, d’une forme de consensus national. Peut-être parce que le Danemark, n’ayant pas eu de colonies, n’est pas rongé par la mauvaise conscience du crime colonial.

Conditions durcies

La gauche, revenue aux affaires il y a trois ans, a poursuivi et même amplifiée le mouvement de fermeture. A tel point qu’elle envisage désormais de confisquer les objets de valeur que pourraient transporter avec eux les migrants en arrivant au Danemark afin qu’ils participent aux frais de leur intégration s’ils devaient rester. Le droit d’asile, un principe social-démocrate, est lui aussi soumis à des conditions durcies. De plus, ce que réclame le gouvernement danois comme signe d’intégration c’est avant tout l’acceptation de l’homosexualité, de l’égalité des sexes, bref, des thèmes chers aux progressistes.

En France il semble que cet appareil idéologique inspire le Rassemblement national (RN). Marine Le Pen se montre, en apparence, sociale en refusant la réforme des retraites et en ne remettant plus en cause aucun des éléments constitutifs du modèle social français. Sur le plan sociétal, le RN n’a plus rien de conservateur si ce n’est une aversion pour un «wokisme» fantasmé. Hormis cette panique réac, la triple candidate à la présidentielle réserve sa radicalité affichée aux questions de sécurité et d’immigration. Cette obsession essentielle, comme l’idée de préférence nationale, porteuse de ségrégation, la maintient dans le camp de l’extrême droite mais la distingue du zemmourisme hyperconservateur.

Tout est dans la dose

Ce qui interroge et prouve que l’hybridation soc-dem-nationaliste est sur le point de passer pour une solution raisonnable, c’est la conclusion de la quatrième de couverture du fascicule du think tank en forme de fausse interrogation : «Peut-on assurer l’avenir de l’Etat-providence sans une politique migratoire restrictive et intégratrice ?» Tout est dans la dose de restrictions et le contenu de l’«intégration». La social-démocratie, dans un cadre républicain, donne notre modèle social français. Il n’est en réalité pas compatible avec une ouverture totale des frontières que personne ne propose, mais surtout, il est parfaitement incompatible avec une différenciation de traitement économique et sociale des personnes vivant sur le territoire.

L’universalisme, dont on tire, à juste titre, argument pour justifier d’une nécessaire intégration des étrangers qui s’installent en France, ne pourrait pas se combiner avec une politique de préférence nationale qui serait un élément différentialiste. La bataille politique et culturelle autour de la nature du modèle social français à préserver, puisque officiellement plus personne ne le remet en cause, va devoir être désormais menée sur deux fronts : contre le libéralisme et contre le nationalisme.

 

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