Édouard Balladur : « La France doit demeurer souveraine et le peuple français, maître de son destin »
Édouard Balladur | 27 juin 2023
L'ancien premier ministre publie une note, pour Fondapol, intitulée « L'Europe et notre souveraineté » , dans laquelle il déplore que, sous couvert d'État de droit, l'Union européenne se soit arrogé de nombreuses compétences nationales. Il propose de soumettre aux Français plusieurs référendums pour leur permettre de recouvrer leur souveraineté et ainsi d'enrayer le déclin du pays.
La création d’une Europe organisée est la grande initiative du siècle précédent. Mais, depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir.
En 2008, le traité de Lisbonne a accentué les travers de la construction européenne.
Depuis, la France a pris l’initiative de proposer un nouvel élargissement et fait des propositions regroupées sous le vocable de la souveraineté de l’Europe. Qui s’y retrouve? Il est temps de sortir du désordre, de poser quelques principes simples.
- Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir.
- Il est indispensable que soit rédigé, pour préciser les compétences de chacun, un code européen s’imposant à tous afin de mettre fin aux équivoques dont est coutumière la Commission européenne, tout comme, dans un autre registre, le Parlement.
- Il importe de revoir dans un sens plus équitable, tenant mieux compte des réalités, la répartition entre les membres de l’Union des postes à la Commission, au Parlement, ainsi que les voix attribuées à chacun au sein du Conseil européen.
- Cette modification faite, il faudra veiller à ce que chacun des organes de l’Union respecte ses compétences. En tout cas, la France doit, dans les domaines diplomatique et militaire, conserver son indépendance.
- Il y a lieu de préciser également la compétence et le rôle des juges nationaux et supranationaux au regard du pouvoir politique et gouvernemental.
- Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base.
Aussi longtemps que toutes ces conditions préalables n’auront pas été remplies, il faudra suspendre tout élargissement de l’Europe.
Dans le même temps, la France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales.
Il faut assurer la supériorité de la Constitution française sur toute autre règle de droit, nationale ou internationale. Actuellement, sous couvert d’État de droit, l’Union européenne s’empare de la «compétence de sa compétence», qu’elle estime devoir définir elle-même en toute indépendance. Jusqu’à présent, les trois cours suprêmes françaises, Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’État, ont peu ou prou laissé faire.
Pour faire échec aux dispositions d’un texte européen de nature législative, il faut, selon la jurisprudence, que soit mis en cause un principe constitutionnel inhérent à l’«identité constitutionnelle» de notre pays. Notion vague et n’offrant pas de garantie véritable.
Doit-on adopter le principe selon lequel le peuple est le seul titulaire d’une souveraineté suprême, dont la volonté, exprimée dans la Constitution adoptée par référendum, l’emporte sur toutes les normes nationales, européennes ou internationales?
Pour redonner aux Français confiance dans leur avenir au sein d’une Europe qui respecte leurs intérêts fondamentaux, ils devraient être appelés à approuver par référendum une politique européenne rénovée. Mais ce serait, déclare-t-on, contraire à la Constitution, en raison du champ limité du référendum.
C’est exact. Aussi faudrait-il au préalable modifier la Constitution pour étendre le champ du référendum. Dans un deuxième temps, l’organisation nouvelle de l’Europe pourrait à son tour être soumise à l’approbation du peuple français. Ainsi serait-elle aussi démocratique qu’il est souhaitable. Tout ceci serait-il trop dangereux pour la sérénité de notre vie publique? Citons de Gaulle , qui lançait, dès le 1er octobre 1948: « Je crois qu’en France la meilleure Cour suprême, c’est le peuple. »
On nous prédit qu’en 2100, par la richesse produite, la France serait la 25e puissance au monde. Quel serait le poids d’une France aussi affaiblie, pourrait-elle prétendre maintenir son indépendance militaire et diplomatique? J’ignore quelle est la qualité de cette prévision. Mais si la France se résignait, qui déciderait à sa place lorsque ses intérêts essentiels, sa vie même seraient en jeu? Il est inconcevable que la France s’en remette à quiconque d’autre qu’à elle-même. Il n’y a pas d’alternative. Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. Ce sera long, difficile, il faut commencer sans tarder.
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Édouard Balladur, L’Europe et notre souveraineté. L’Europe est nécessaire, la France aussi, Fondation pour l’innovation politique, juin 2023
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