Guerre commerciale Chine - États-Unis : l'instructif cas Huawei

Robin Rivaton | 16 septembre 2023

Une puissante déclaration géopolitique se cache derrière le lancement du smartphone chinois Huawei Mate 60 Pro.

Quelques nouvelles du front. Pas celui de la guerre russo-ukrainienne, mais celui de la guerre commerciale sino-américaine. La stratégie de découplage lancée par Trump, et renforcée par Biden, aboutit à des destructions réelles, mais l’économie mondialisée est obstinée, comme le montre le cas Huawei. Fin avril 2018, le département de la Justice avait ouvert une enquête sur Huawei pour déterminer si le groupe de Shenzhen, n° 3 mondial du secteur des smartphones, avait enfreint les sanctions américaines contre l’Iran en vendant ses produits à la République islamique. Cette enquête avait été suivie d’un décret présidentiel lui interdisant de vendre ses équipements de réseaux télécoms et d’acheter auprès de fabricants américains. Conséquence, ses produits, devenus incompatibles avec le système d’exploitation mobile d’Alphabet, Android, avaient disparu des rayons hors de Chine, sa part de marché dégringolant de 18 à 4 %.

En mars dernier, la société a annoncé être sortie de la crise après avoir enregistré une légère augmentation de son chiffre d’affaires annuel en 2022. Comme un symbole, les résultats ont été présentés par Meng Wanzhou, directrice financière et fille du fondateur Ren Zhengfei, qui a été détenue pendant trois ans au Canada dans le cadre des ventes à l’Iran. Pour faire face aux sanctions, l’entreprise a augmenté ses dépenses de R&D, qui atteignent désormais un quart de son chiffre d’affaires. De telles dépenses ont aidé Huawei à remplacer les composants de ses produits touchés par les sanctions commerciales américaines, Ren Zhengfei ayant évoqué la substitution de près de 13 000 pièces.

La société est devenue le fer de lance de la quête d’indépendance de la Chine dans les semi-conducteurs. En témoigne le récent lancement de son dernier smartphone, le Mate 60 Pro. L’appareil contient probablement une puce 5G de 7 nanomètres fabriquée par Smic (Semiconductor Manufacturing International Corporation). Sa sortie a coïncidé avec la visite de la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, à Pékin, ce qui en fait une déclaration géopolitique puissante. Huawei serait même en train d’étudier comment concurrencer Nvidia et ses fameuses puces de classe A100, interdites à l’exportation en Chine.

La ligne Maginot de Biden

HiSilicon, la société de conception de Huawei, avait déjà montré, avant même les sanctions, sa volonté de rivaliser avec Apple ou Qualcomm. L’essentiel des autres composants est chinois, à l’exception de quelques cartes mémoires du sud-coréen SK Hynix. La question que se posent désormais de nombreux experts est celle de la capacité de Huawei à poursuivre dans cette voie autonome. L’entreprise serait dans l’obligation de donner des gages à l’Etat chinois pour continuer à obtenir les subventions qui lui ouvriraient le chemin vers les puces de 5 nanomètres. L’administration Biden avait essayé de construire une ligne Maginot en forçant les Néerlandais, les Allemands et les Japonais à ne plus exporter vers la Chine leurs machines de production de semi-conducteurs les plus pointues, celles de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV). Mais les Chinois ont réussi à détourner les machines européennes à lithographie par rayonnement ultraviolet profond (DUV).

Il est probable que le prochain président américain resserre les licences d’exportation pour interdire l’entretien des machines déjà installées en Chine. Ce serait un coup dur. L’industrie chinoise de fabrication de ces machines est balbutiante. La technologie à laser à fluorure de krypton de Shanghai Micro Electronics Equipment (SMEE), la réponse chinoise au néerlandais ASML, est vieille de vingt ans.

Un tel acte serait une escalade supplémentaire dans la guerre commerciale. Et les conséquences pourraient être lourdes pour les fournisseurs américains de semi-conducteurs comme Qualcomm, Texas Instruments, Western Digital, NXP ou Qorvo, tous très exposés à la Chine. Apple, qui peine à sortir de sa dépendance aux usines chinoises pour l’iPhone, risque aussi d’en faire les frais sur d’autres produits : la firme californienne teste actuellement des écrans avancés fabriqués par deux fournisseurs locaux, BOE Technology et SeeYA Technology, en vue d’une possible inclusion dans ses futurs casques de réalité mixte Vision Pro.

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