
Immigration : la « rupture », selon Édouard Philippe
Cécile Cornudet | 05 juin 2023
Dans une interview à « L'Express », le patron d'Horizons juge nécessaire de remettre en cause l'accord de 1968 avec l'Algérie. Le discret change de stratégie.
Il y a des mots connotés. Celui de « rupture » en est un, tant il renvoie à Nicolas Sarkozy marquant sa distance avec Jacques Chirac pour mieux lui succéder. Edouard Philippe le reprend et l’applique à un sujet sur lequel on ne l’attendait pas : l’immigration. Le nombre d’étrangers progresse, la part de ceux venant d’Afrique aussi, sans que cela ne procède d’un choix politique. « C’est une immigration du fait accompli », dit dans « L’Express » celui qui ne veut pas avoir peur des mots.
Il les dit, forts. Il faut « reprendre le contrôle » (comme LR) ; « On crève des non-dits » (à propos du lien entre immigration et délinquance) ; la hausse du nombre d’étrangers « participe à l’embolie de beaucoup de nos services publics » ; « Le communautarisme islamiste est une menace ». Il faut donc réagir, et si la loi Darmanin-Dussopt est « nécessaire, je sais qu’elle n’est pas suffisante ».
Pas de « Frexit juridique »
Quand le constat se veut dur, il faut au moins une mesure qui le paraisse aussi. Cette mesure la voici. Il faut « dénoncer l’accord de 1968 avec l’Algérie », affirme Edouard Philippe, comme l’avait un temps envisagé Nicolas Sarkozy.
L’accord donne aux Algériens des avantages dont aucun ressortissant d’un autre Etat ne bénéficie, justifie-t-il. Il sait les tensions diplomatiques et juridiques que cela provoquerait. « Une grave crise s’ouvrirait avec Alger », prévient d’ailleurs une note de la Fondapol. « Mais il est temps », conclut Edouard Philippe. Même LR ne va pas jusque-là.
Lui, dans l’autre sens, ne va pas aussi loin que LR. Pas question de déroger au droit européen, sauf à acter une « forme de Frexit juridique », dit-il. « On ne peut pas mettre de côté nos engagements européens sur certains sujets quand cela nous arrange ». Il ne ferme en revanche pas la porte à un questionnement régulier sur l’aide médicale d’Etat (AME), pas plus qu’à une révision de la Constitution pour réformer le droit d’asile.
Ni LR, on l’aura compris, ni Macron-Darmanin qui ne vont pas assez loin, ni son mentor Juppé qui fut taxé d’angélisme : Edouard Philippe investit le sujet en tentant d’apposer sa propre marque. Sortir des schémas établis, être ambitieux mais réaliste, surprendre. Et manifestement changer de stratégie s’il le faut. Quatre ans avant la présidentielle de 2027, c’est long ! Rester silencieux ou quasi, comme il le faisait jusqu’ici, n’est pas une option que sauraient comprendre les Français. Il peut parler en longueur sur un sujet de fond qui préoccupe les Français, montre-t-il donc, et il le refera. Il y avait les cartes postales, trop peu visibles sans doute, Edouard Philippe amorce la stratégie des pavés dans la mare.
Retrouvez l’entretien sur lesechos.fr
Xavier Driencourt, Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968 ?, Fondation pour l’innovation politique, mai 2023
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