Islam: le repli identitaire se renforce en France

Marie-Amélie Lombard-Latune | 28 octobre 2022

ENQUETE. La dérive séparatiste, qui fait de l’école sa cible privilégiée, n’est « pas en voie d’apaisement », selon une récente note des Renseignements territoriaux que révèle l’Opinion

Les faits – L’Education nationale publiera courant novembre son bilan mensuel des atteintes à la laïcité, après les 313 signalements recensés en octobre. Pointant la responsabilité des réseaux sociaux, le ministre Pap Ndiaye avait commenté dans Le Monde que « la République est plus forte que TikTok », promettant des mesures fortes pour contrer cette montée du fondamentalisme.

La pression islamiste n’est pas près de diminuer. Son offensive sur l’école, qui se poursuit, n’en est que la manifestation la plus tangible. Elle s’exerce aussi sur un autre terrain où, à l’inverse des voiles ou des abayas dans les établissements scolaires, elle n’a strictement rien d’illégal : l’espace public. Signe le plus concret de cette présence accrue d’un islam rigoriste ? Des femmes, notamment jeunes, en tenues religieuses strictes, qu’on ne rencontrait jusqu’à une période récente que dans les quartiers à forte population immigrée, se croisent aujourd’hui régulièrement dans les centres-villes, dans Paris intra-muros comme à Toulouse ou Marseille, dans les métropoles comme dans les agglomérations moyennes.

Le constat est largement partagé par les services spécialisés. A la tête du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), le préfet Christian Gravel le souligne : « Cette visibilité de vêtements à caractère religieux est manifeste partout.Dans la rue comme dans les piscines avec le burkini, le sport avec le phénomène des “hijabeuses” ou encore à l’université. Ces manifestations identitaires traduisent une volonté de marquer l’espace. Un objectif qui n’a jamais cessé depuis l’affaire du foulard de Creil en 1989, alternant phases faibles et fortes. Là, nous sommes clairement dans une dynamique offensive depuis six mois. Elle participe à la stratégie de la mouvance islamiste de provoquer des phases de tensions suivies de phases de victimisation et de dénonciation d’une pseudo- “islamophobie”. »

Sécessionistes. Dans les banlieues populaires, le port du hijab, qui, encore une fois, n’est pas contraire à la loi, est « devenu la norme, sans d’ailleurs être forcément associé à un geste militant, constate Gilles Clavreul, co-fondateur du Printemps républicain. Etre habillée à l’occidentale pour les femmes y est tout simplement devenu l’exception ». Un secrétaire général de préfecture dans le Sud le note : « Quand je réunis les associations de quartier, toutes les femmes sont voilées ». Exemple aussi à Nantes, ville qui « se communautarise rapidement », selon un élu au parler cash : « Ce qu’on voyait dans l’Est, à Mulhouse ou Strasbourg, arrive à l’Ouest. Le dress-code, c’est le golfe arabo-persique ». En 2016, l’Institut Montaigne évaluait à 28 % la proportion de musulmans classés comme « sécessionnistes et autoritaires » en France.

« Les réseaux islamistes veulent diffuser cette vision extrémiste de l’islam, de femmes et d’hommes qui revendiquent fièrement leur volonté de contre-société »

Si l’on prend la question froidement, jusqu’où cette banalisation du voile est-elle problématique ? Elle l’est sans conteste pour Christian Gravel : « Les réseaux islamistes veulent diffuser cette vision extrémiste de l’islam, de femmes et d’hommes qui revendiquent fièrement leur volonté de contre-société, porteurs d’un message explicite : “Nous ne sommes pas comme vous, peuple de mécréants. Nous rejetons vos codes malsains”. Le phénomène est largement plus profond et grave qu’un effet de mode. Ce séparatisme n’a pas vocation à s’atténuer dans les années à venir. S’appuyant sur des puissances étrangères disposant de moyens considérables, c’est un projet politique global dont l’école est la première cible ».

L’école n’en a pas fini avec les atteintes à la laïcité. Malgré la prise en compte du phénomène des abayas et des qamis, malgré la fermeté ministérielle affichée depuis la rentrée, malgré les promesses répétées lors des hommages à Samuel Paty. Une note du Service central des renseignements territoriaux (SCRT) sur les atteintes à la laïcité en milieu scolaire datée du 13 octobre 2022, que l’Opinion s’est procurée, est pessimiste. « Les premières tendances (observées depuis la rentrée de septembre) ne semblent pas prendre la voie de l’apaisement », écrivent ses auteurs selon qui tous les signaux sont au rouge. « La multiplication des atteintes à la laïcité en milieu scolaire est le signe de la banalisation de l’islam fondamentaliste par les jeunes générations de fidèles », poursuivent-ils.

Les contournements de l’interdiction du voile, les contestations d’enseignements, les revendications communautaristes, encore majoritairement le fait d’actes individuels et isolés, sont de plus en plus le fruit de « stratégies coordonnées », menées par des groupes d’élèves ou des associations de parents d’élèves. Dans un lycée de Montauban, une vingtaine de jeunes filles musulmanes, d’origine maghrébine ou tchétchène, « mènent ouvertement une “croisade” pour le droit au port du voile ».

« Ces élèves au discours bien rodé interpellent régulièrement les professeurs sur ce qu’est la religion musulmane », ajoute le SCRT. A Joué-lès-Tours, deux femmes en abayas ont été repérées aux abords d’un lycée, semblant « s’assurer que les élèves soient bien revêtues de la tenue musulmane […] Une élève a qui il avait été demandé d’enlever son voile a fait part de sa crainte de l’enlever, affirmant qu’elle-même et ses coreligionnaires étaient “sous surveillance”. » D’autres incidents, déclenchés par des groupes, ont eu lieu à Agen, Noyon, Plaisir ou Limoges.

La note, qui complète les alertes déjà émises par le CIPDR ou les équipes Valeurs de la République dans l’Education nationale, a été rédigée avant la manifestation de lycéennes épaulées par l’Unef réclamant la « liberté vestimentaire » devant leur établissement à Clermont-Ferrand mi-octobre et les violences répétées au lycée Joliot-Curie de Nanterre sur fond, notamment, de revendications du port de tenues religieuses.

Stratégie marketing. Au terme de ces 12 pages sur le « repli identitaire », la conclusion des Renseignements territoriaux interpelle. « La frange fondamentaliste islamiste, qui n’a jamais accepté et a toujours dénoncé la loi de 2004 [interdisant les signes religieux] bénéficie actuellement d’un contexte favorable dont elle entend tirer profit. Patiente […], elle paraît en capacité d’inscrire son action dans la durée et de poursuivre la diversification de ses pressions, notamment en cherchant des relais auprès de certaines institutions internationales », estiment les services.

Outre l’influence des « imams fréristes ou salafistes », déjà abondamment relevée, c’est le glissement de leur discours qui inquiète : « Au-delà de [l’]argumentation purement religieuse, l’islamosphère, qui s’est construite sur la dénonciation de l’islamophobie, s’engage ouvertement sur le terrain politique », relèvent-ils encore, rappelant qu’elle peut trouver un allié auprès du Comité des droits de l’homme de l’ONU. Parmi les exemples de cet activisme de l’islamosphère est cité le sermon d’un de ses prédicateurs, Nader Cheecha – intitulé « Ces femmes qui enlèvent leur voile » – qui a été visionné par près de 400 000 fois depuis mai 2021. Ou l’activisme d’influenceuses telles que Lena Delporte (613 000 abonnés, 41 millions de likes sur TikTok). Sur l’un des extraits, la jeune femme, dont seul l’ovale du visage est apparent, joue avec son chat… La tenue islamique devient « une tendance de mode », voire « une stratégie marketing ».

Et tant pis si « les nombreuses adolescentes qui s’exhibent sur les réseaux sociaux», avec maquillage et accessoires, « sont en complète opposition avec la pratique rigoriste de la pudeur musulmane ». Des attitudes qui ne sont d’ailleurs pas condamnées, précisent les Renseignements territoriaux citant l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa qui, le 29 septembre sur TikTok, indiquait que lui-même « avait eu également des comportements inappropriés dans son passé » et prédisait que « cette jeunesse évoluera dans la foi comme lui ».

Le raz-de-marée sur les réseaux sociaux est tel qu’une recherche Google sur des termes ayant un rapport avec l’islam « renvoie à plus de 80 % à des sites d’obédience salafiste ayant une approche ultra-rigoriste », assure Christian Gravel. Un élu socialiste originaire du Maghreb raconte ses surprises sur Internet : « Je prends bien soin de ne pas cliquer sur des liens islamistes. Pourtant, les algorithmes doivent repérer que je lis l’arabe et me balancent leur pub ».

« Les femmes émancipées, entrées dans l’âge adulte dans les années 1990, cet obscurantisme, ça les gave ! »

Montée du communautarisme, affirmation des particularismes, revendications identitaires : l’essayiste et consultant Hakim El Karoui (également chroniqueur à l’Opinion) les connaît bien : « Il n’y a aucune raison que la dynamique engagée depuis plusieurs années s’arrête. Cela étant, elle doit être reliée à la volonté d’“être soi-même” des moins de 30 ans aujourd’hui ». Dans les familles de culture musulmane, les frictions sont nombreuses entre les jeunes générations et leurs mères. « Les femmes émancipées, entrées dans l’âge adulte dans les années 1990, cet obscurantisme, ça les gave ! », résume l’une d’elles.

« Bledards ». Quel discours opposer à ces signaux de rupture ? Pour le SCRT, les prises de position des « référents religieux modérés » sont « rares, inaudibles et attaquées ». Ainsi quand, le 3 octobre dernier, le recteur du Conseil des mosquées du Rhône, Kamel Kabtane, lance un appel à l’apaisement sur les tenues islamiques en milieu scolaire, il est aussitôt la cible du site « Des Dômes et des minarets » pour ce « communiqué de la honte ».

« Plus les pouvoirs publics mettent en avant des “autorités musulmanes”, moins cela a d’effet », prévient Hakim El Karoui qui se méfie d’un « catéchisme républicain qu’on opposerait au catéchisme islamiste ». Vus comme des « bledards », les responsables musulmans n’ont aucun poids face aux influenceurs TikTok. « Dini Tv, à 29 euros par mois, dont la page d’accueil ressemble à Netflix et qui donne tous les conseils pour être un “bon musulman”, compte près de 300 000 abonnés », remarque encore le consultant. A la tête de Dini Tv, on retrouve l’imam de Brest, de son vrai nom Rachid Eljay.

Les réseaux sociaux sont à l’évidence des instruments de pénétration extrêmement puissants pour les entrepreneurs identitaires. « Derrière eux, les Frères musulmans poursuivent deux objectifs, selon le politologue Dominique Reynié. D’une part, un rappel à l’ordre, une réaffirmation autoritaire de la règle par peur que les jeunes générations musulmanes, qui côtoient la sphère LGBT et woke, n’en subissent l’influence. D’autre part, une mise en tension du lien national, de l’héritage laïc » . Les Renseignements territoriaux enfoncent le clou : « Le port du voile, et, plus généralement, le respect de la “pudeur islamique” sont activement encouragés par les mouvances fondamentalistes qui ont fait de la jeunesse la principale cible de leur propagande ».

 

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