La France africaine ?
Jean-Paul Gourévitch | 13 octobre 2021
Ce titre, qui ne paraîtra provocateur qu’aux ignorants, ne se réfère pas en effet à l’ouvrage éponyme – et un peu prophétique - que j’avais publié il y a 20 ans au Pré aux Clercs mais au débat qu’en marge du récent sommet de Montpellier, Emmanuel Macron et Éric Zemmour ont lancé sur la part d’africanité de la France. Il ne s’agit donc pas ici d’un article engagé mais d’une tentative d’approche scientifique d’un thème clivant et sur lequel fleurissent amalgames et désinformation.
Des chiffres pour y voir clair
Quand Emmanuel Macron énonce que « près de 7 millions de Français, sont intimement liés à l’Afrique », il crée lui-même l’ambiguïté en précisant qu’il s’agit de « la première et de la seconde génération », donc les immigrés et leurs descendants directs.
Cette formule est en effet largement en décalage avec les chiffres de deux organismes officiels : l’OFII (Office Français de l’immigration et de l’Intégration) dont le directeur Didier Leschi a publié en octobre 2018 pour la Fondation pour l’innovation politique le rapport « Migrations : la France singulière » ; et France-Stratégie, institution rattachée au Premier Ministre même si l’organisme précise que « les opinions exprimées dans ce document n’ont pas vocation à engager la position du gouvernement », qui a publié en 2020 une analyse de l’évolution de 1990 à 2015 des immigrés extra-européens et de leurs enfants de moins de 18 ans dans 55 « unités urbaines » de plus de 100 000 habitants.
De ces deux publications, qui ne tiennent compte que de l’immigration régulière et datent de quelques années, on peut tirer schématiquement les trois conclusions suivantes.
- Les immigrés représentent 11 % de la population métropolitaine et leurs enfants de moins de 18 ans dont au moins un parent est immigré, environ 25 % de leur classe d’âge avec une proportion plus importante dans les unités urbaines considérées.
- Dans cette population, les extra-européens sont très largement majoritaires et, si on regarde de plus près l’évolution du solde migratoire et du solde naturel, ceux liés à l’Afrique subsaharienne sont aussi nombreux et bientôt plus que ceux liés au Maghreb.
- Le total de ces deux populations de confession très largement musulmane avoisine les 10 millions d’habitants.
En amalgamant Français et immigrés ayant conservé leur nationalité, première et seconde génération, Maghrébins et Africains subsahariens, le Président ne contribue pas à la clarté du débat qu’il a voulu vivifier.
Deux conceptions de l’histoire
Pour le Président Macron, « on ne peut pas avoir une France qui construit son propre roman national si elle n’assume pas sa part d’africanité, si elle ne (sic) regarde pas à travers ces pages sombres ou heureuses ». Au contraire, pour Éric Zemmour qui a envoyé pendant ce sommet un tweet explicite : « Emmanuel Macron veut dissoudre la France dans l’Afrique. Que Ouagadougou reste Ouagadougou et que Montpellier reste Montpellier ! »
Ces déclarations cristallisent deux dynamiques historiques opposées. Celle d’Emmanuel Macron est fondée sur un héritage qu’il n’a pas choisi, qui est contesté par une partie de la jeunesse africaine présente à Montpellier, mais qu’il assume pour construire une nouvelle relation avec une Afrique subsaharienne dont il a pris soin de ne pas inviter à ce sommet les chefs d’État. Pour Éric Zemmour, si les Français ne se mobilisent pas pour un grand sursaut national qu’il appelle de ses vœux, avant peut-être de prétendre l’incarner, la France perdra son identité qui se fragmentera dans un ensemble multiethnique informe, prélude au « Grand Remplacement » qui n’est pas seulement celui de la population résidant en France mais celui des valeurs de sa civilisation.
Campagnes de propagande
Le sommet de Montpellier apparait ainsi comme une opération de propagande, bien en deçà des enjeux de la refondation des relations entre la France et l’Afrique et d’un XXIe siècle qui ne se construira pas sans les Africains ni contre eux.
Macron, qui sait que plus de 9 sur 10 des Maghrébins et des Africains résidant en France (et 92 % à 95 % de musulmans) ont voté pour lui contre Marine Le Pen, veut mobiliser cet électorat traditionnellement peu motivé, en l’élargissant à l’ensemble des diasporas sur le territoire qui représentent près de 14 millions d’habitants. Son show auquel il a eu l’habileté d’associer Achille Mbembe, le célèbre intellectuel camerounais théoricien du post-colonialisme et pourfendeur de la Françafrique, les actions de sensibilisation préalable d’un Comité Présidentiel pour l’Afrique à sa dévotion, les sommes dépensées, ses engagements à long terme et ses promesses immédiates convergent vers cet objectif. Au risque de s’être trompé de combat, s’il ne trouve pas en face de lui comme adversaire un représentant de l’extrême-droite.
Lire l’article sur atlantico.fr.
Didier Leschi, Migrations : la France singulière, (Fondation pour l’innovation politique, octobre 2018).
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