La gauche et l’antisémitisme : ne tirez pas sur le messager !
Ferghane Azihari | 11 novembre 2023
LA CHRONIQUE DE FERGHANE AZIHARI. Sur l’antisémitisme, chacun dénonce l’électoralisme de Mélenchon, mais personne ne demande des comptes à son électorat.
Le monde, disait Chesterton, est plein d’idées chrétiennes devenues folles. Le socialisme et le communisme appartiendraient à ces catégories, à en croire le pape Pie XI, qui assimilait cette dernière doctrine à une « contrefaçon de la rédemption des humbles ». C’est ainsi que le collectivisme a recyclé les poncifs hérités de l’ère chrétienne, comme celui du Juif usurier qui préfère son portefeuille au bien commun.
Longtemps confinés dans leurs ghettos, les Juifs s’émancipent à la faveur du libéralisme et de la révolution industrielle. Après des siècles de discriminations, les voilà surreprésentés parmi les élites économiques et intellectuelles d’une Europe en pleine expansion. Ils sont dès lors pris à partie par ce socialisme que Churchill désignait comme l’Évangile de la jalousie. «Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre, par la fièvre du gain […], manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion», énonçait Jaurès dans son célèbre discours du Tivoli en pleine affaire Dreyfus.
Un discours qui n’est pas en rupture avec l’histoire de France
En ce sens, les diatribes et sous-entendus qui se logent dans le discours de la gauche radicale ne constituent pas une rupture dans l’histoire de France. Ils renouent avec une vieille et vile tradition à laquelle les socialistes et le mouvement ouvrier n’ont pas plus été immunisés que le reste de la nation. L’innovation de Mélenchon est ailleurs. L’antisémitisme que la gauche flatte ne s’adresse plus à sa clientèle historique. Il n’est plus question de séduire une classe ouvrière qui regarde vers le Rassemblement national et qui disparaît au rythme de la tertiarisation de nos économies.
En vertu de la jurisprudence Terra Nova-Pascal Boniface, la gauche est sommée d’être plus attentive aux « minorités », à la « diversité », aux « jeunes beurs », à la « communauté arabo-musulmane » et autres qualificatifs paternalistes employés par les rejetons de Pierre Loti qui aiment l’immigré à la seule condition qu’il reste prisonnier de ses traditions serviles et qu’il reste en marge de la culture majoritaire.
L’immigré que l’apparatchik de gauche courtise n’est pas celui qui proclame, comme Romain Gary, que la France coule dans ses veines même s’il n’a pas une goutte de sang français. Il préfère la mode saoudienne aux normes vestimentaires occidentales. Il préfère Médine à Ferdinand Buisson. Il voit de l’islamophobie dans tous les pays où les musulmans sont minoritaires, mais demeure indifférent à l’intolérance que l’islam produit là où il est majoritaire.
Dans cette affaire, Mélenchon ne pèse rien. Il est insignifiant. Il est l’arbre qui cache la forêt. Il n’est qu’une « prise de guerre », pour reprendre l’indigéniste Houria Bouteldja. Disparaîtrait-il de la scène médiatique qu’un autre opportuniste se positionnerait sur le même segment de marché.
Une démagogie qui produit ses effets
Aussi, le fait politique majeur n’est pas tant qu’un démagogue s’adonne à la démagogie. Le plus consternant est que cette stratégie fonctionne auprès du public ciblé. En 2022, l’Ifop révélait que 69 % des musulmans qui se sont rendus aux urnes pour le premier tour de l’élection présidentielle ont voté pour M. Mélenchon.
On objectera que ce score spectaculaire ne dit rien des raisons qui motivent tant de Français de confession musulmane à voter pour lui. Les musulmans ne sont pas que musulmans. Ils sont aussi des hommes, des femmes, des ouvriers, des précaires, des banlieusards, des jeunes et des étudiants : autant de profils susceptibles d’être sensibles aux sirènes de l’anticapitalisme. Il n’en reste pas moins que cette surreprésentation interroge.
Elle interpelle d’autant plus que Mélenchon n’a pas le monopole de l’anticapitalisme, tandis que son anti-occidentalisme le différencie de ses concurrents. Elle interpelle, enfin, dans la mesure où les musulmans figurent parmi les groupes les plus sensibles aux préjugés antisémites.
La dernière étude publiée sur ce sujet par la Fondapol et l’American Jewish Committee révélait que 15 % des Français de confession musulmane admettent éprouver de l’antipathie pour les juifs, tandis qu’un musulman sur deux adhère à l’idée d’une mainmise des juifs dans les médias et la finance. À quel point les Français de confession musulmane veulent-ils correspondre à l’image sombre que Mélenchon et ses comparses se font d’eux ? C’est à cette question existentielle que la paix civile est suspendue.
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* Ferghane Azihari est essayiste, auteur des « Écologistes contre la modernité – Le Procès de Prométhée » (Presses de la Cité). Il est également membre de la Société d’économie politique et délégué général de l’Académie libre des sciences humaines et du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondapol
François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).
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