La mue contrariée du Rassemblement National

Brice Couturier, Dominique Reynié, Jean-Noël Jeanneney, Nonna Mayer, Patrick Cohen | 06 novembre 2022

Vendredi, Grégoire de Fournas, député RN a été exclu pendant 15 jours de l'AN pour s'être livré à des « manifestations troublant l'ordre ou qui provoquent une scène tumultueuse ». Le lendemain Jordan Bardella est devenu Président du RN.
Avec :
- Brice Couturier Journaliste, producteur jusqu'en juin 2021 de la chronique "Le Tour du monde des idées" sur France Culture
- Nonna Mayer Politologue, directrice de recherche émérite au CNRS, rattachée au Centre d’études européennes de Sciences Po
- Dominique Reynié Politologue. Professeur des Universités à Sciences Po.
- Jean-Noël Jeanneney Historien, ancien président de Radio France

Jordan Bardella, 27 ans, nouveau président du Rassemblement national, a largement élu hier à près de 85% des voix. Le RN aux portes du pouvoir ? C’est ce que laissent entrevoir toutes les enquêtes d’opinion. A 4 ans et demi de l’échéance, et en l’absence d’Emmanuelle Macron, Marine Le Pen apparait pour l’instant comme la favorite de la présidentielle de 2027. Jordan Bardella a d’ailleurs dit vouloir travailler « pour » Marine Le Pen en servant la 4ème candidature de celle qui l’a choisi pour lui succéder. Et qui va continuer de diriger son groupe de 89 députés.

C’est d’ailleurs de l’Assemblée nationale qu’est venu le scandale cette semaine. Une apostrophe raciste ou xénophobe, selon l’interprétation qu’on lui donne, lancée par un député RN lors de l’intervention d’un élu insoumis sur des migrants en détresse en Méditerranée. Incident qui a valu à son auteur une exclusion de 15 jours, sanction rarissime votée par tous les autres groupes de l’Assemblée.

Et dont les dégâts ont trouvé un prolongement en interne, lors du congrès du RN. Deux historiques du parti proches de Marine Le Pen, le maire d’Hénin-Beaumont Steeve Briois et le député du Pas-de-Calais Bruno Bilde, exclus des instances dirigeantes, ont dénoncé publiquement une purge et une radicalisation idéologique…

Jordan Bardella, nouveau président du RN

A 27 ans, l’eurodéputé Jordan Bardella est devenu le nouveau président du Rassemblement National. Pour autant, malgré son élection, Marine Le Pen reste la cheffe du parti : « pour l’avenir pour le mouvement comme pour la France, il va de soi que je serai là où le pays et la cause nationale auront besoin de moi. » La mission cachée du nouveau président du RN, améliorer l’image du parti, en quelque sorte le normaliser, ne pas faire d’ombre à la probable candidate à l’élection présidentielle 2027, Marine Le Pen. Donc même si dans les faits, le parti ne sera plus dirigé par un Le Pen depuis 50 ans, elle reste quand même la cheffe. Le dimanche 18 septembre, lors de son discours de rentrée devant l’université d’été du RN au Cap d’Agde, celle qui fut présidente du RN pendant 11 ans déclarait : « si je quitte la présidence du parti, je ne renonce pas au combat politique, à la défense des Français, à la volonté d’engager le pays sur la voie du redressement » . Et d’ajouter « quand ce ne sera plus Emmanuel Macron, ce sera nous » . Elle veut croire aussi que le moment politique est au  » grand retour des nations d’Europe » avec la montée d’une  » vague patriote » aux élections en Suède, en Italie et aux Pays-Bas.

Mais déjà des frondeurs…

Mais le jour même de son élection, les premières dissensions sont apparues. A la tête de cette fronde, Steeve Briois, le maire d’Hénin-Beaumont. Il reproche en substance au président élu de défendre une ligne trop radicale, qui « fait des ronds de jambe à certains intégristes ». Jordan Bardella, qui selon lui oublierait le « ni droite ni gauche » défendu par Marine Le Pen. Selon lui, le successeur de Marine Le Pen met trop l’accent sur « l’immigration et l’identité » au détriment « des problèmes du quotidien et des problèmes sociaux ». Le maire d’Hénin Beaumont déplore aussi et surtout d’être écarté, tout comme le député Bruno Bilde, du bureau exécutif du parti : l’instance qui prend les décisions les plus importantes du RN. Steve Briois dénonce « une purge qui consiste à exclure du bureau exécutif des personnes qui ont été au cœur de l’aspect social du mouvement, pour faire place à des gens qui ne sont que identitaires ». « C’est un virage qui m’inquiète, poursuit-il, car je n’ai pas envie que nous retombions demain dans ce qu’était le FN il y a vingt ans ».

Le processus de dédiabolisation du parti contredit par l’incident du député Grégoire de Fournas

Marine Le Pen ne veut plus que le champ politique de son parti soit uniquement focalisé sur l’immigration et l’insécurité. Elle veut étendre son domaine politique, pour mieux anesthésier la diabolisation. Elle veut prouver, avec ses députés, que le RN est capable d’être présent politiquement sur d’autres sujets. Elle veut qu’à chaque fois que le gouvernement et les insoumis l’attaquent sur « les valeurs », le RN soit capable de répondre sur le « fond ». Depuis trois mois, les 89 députés RN ont donc pour consigne de se tenir à carreau dans l’Hémicycle. Mais jeudi, en pleine séance à l’AN, le député La France insoumise du Val-d’Oise, Carlos Martens Bilongo, un homme noir, s’inquiétait du sort d’un bateau de migrants « en situation d’urgence absolue » bloqué en Méditerranée, quand une voix, venant des rangs du Rassemblement national, forte et distincte, l’interrompt brutalement, le député Grégoire de Fournas a crié : « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ». Un doute subsiste sur ce qu’il a voulu dire.

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