«La politique d'immigration irresponsable en Suède a contribué au succès inédit des droites»
Dominique Reynié, Ronan Planchon | 14 septembre 2022
ENTRETIEN - Mercredi 14 septembre, la droite populiste, alliée avec la droite conservatrice a remporté d'un souffle à l'issue des élections législatives en Suède. Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique, analyse ce résultat.
LE FIGARO. – En Suède, une coalition de droite réunissant toutes les droites a a remporté mercredi de justesse les élections législatives en Suède, chassant du pouvoir la gauche aux commandes depuis huit ans. Fin septembre, tous les regards seront tournés vers l’Italie, où un tel scénario pourrait se reproduire. Est-ce une tendance européenne ?
Dominique REYNIÉ. – La montée en puissance des droites populistes est un mouvement qui affecte le monde démocratique dans son ensemble et les pays européens en particulier. Il est lié à l’échec des partis de gouvernement qui n’ont pas su répondre aux aspirations des peuples. Depuis des années, leurs préoccupations en matière d’immigration, leurs inquiétudes face au multiculturalisme ont été stigmatisées. Elles ont été jugées irrecevables, immorales ou illégitimes. La Suède en est le parfait exemple.
Le contexte inflationniste, qui affecté directement le pouvoir d’achat des ménages, est théoriquement favorable à la gauche. Or l’économie semble passer au second plan des aspirations des populations européennes, davantage tournées sur les thématiques régalienne et identitaires. En Suède comme ailleurs, les gouvernants ainsi que nombre de journalistes et d’experts n’ont pas vu à quel point la dégradation de la situation en termes d’ordre public et l’échec patent en ce qui concerne la maîtrise de l’immigration était devenue une préoccupation majeure pour les citoyens. Cette volonté des peuples d’une restauration de la puissance publique est fondamentale pour comprendre ce qui se passe en Europe.
La Suède est pourtant un pays de tradition sociale-démocrate. Comment expliquer un tel basculement ?
C’est indubitablement le prolongement des conséquences d’une politique irresponsable en matière d’immigration. Si la Suède est connue pour être la patrie de la social-démocratie, d’un État-providence très généreux, elle se caractérise surtout par son histoire migratoire.
De la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1990, ce pays accueillait, de façon modérée, une population immigrée venue de pays européens. Par la suite, la Suède a reçu sur son sol un nombre croissant d’immigrés, notamment issus de pays non européens, jusqu’à déstabiliser sa culture nationale.
La classe politique suédoise a opéré un virage à 180° sur la question migratoire ces dernières années. Cela n’a pas suffi ?
Non, car ce problème a été ignoré pendant trop longtemps. Cette nouvelle population présente sur le territoire qui n’est pas intégrée, ou très mal intégrée fait désormais partie intégrante de la vie du pays. Ces difficultés d’intégration ne sont pas liées à un processus de ségrégation, de stigmatisation, mais elle est liée au faible niveau de diplômes de nombre d’une partie significative de personnes immigrées, principalement originaires de pays pauvres.
En 2005, au moment des émeutes dans diverses banlieues, la Suède ne comprenait pas ce qu’il se passait chez nous. Aujourd’hui, elle doit faire face à des trafics de drogue importants, une délinquance endémique et des guerres entre gangs rivaux. Plus marquant encore, les règlements de compte à coups de grenades sont devenus très courants. Ce pays a, en quelque sorte, a perdu aussi le contrôle de l’ordre public.
Conséquence: de nombreux Suédois adoptent un discours, sincère, de tolérance et louent le multiculturalisme, mais dans les faits, ils ne se mêlent pas aux immigrés extra-européens. Ils ne vivent pas ensemble, ne se marient pas entre eux. Ils vivent côte à côte et non ensemble.
Peut-on expliquer le résultat de ce scrutin uniquement par le prisme de la question migratoire ? N’est-ce pas réducteur ?
Non, la question migratoire et l’insécurité ne sont pas les seules explications à ce vote. La guerre en Ukraine, et la crise énergétique qui en découle, sont des éléments à prendre en compte. Toutefois, la progression des Démocrates de Suède dans les urnes (NDLR, la droite populiste) est intimement liée à l’immigration. Il y a 20 ans, ce parti pesait 1,4% des voix. Dimanche, près de 21% des électeurs ont voté pour ce mouvement.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que, à l’instar d’autres pays européens, la droite modérée suédoise est dépassée par une droite plus radicale. L’évolution des Démocrates de Suède est intéressante. Ce parti, historiquement constitué de forces d’extrême droite, est entré dans un processus de normalisation depuis quelques années. Désormais, il ne souhaite plus quitter l’Union européenne, il est favorable à l’État-providence, etc. À l’image du Rassemblement national en France.
À l’inverse, la gauche a obtenu un résultat historique à Stockholm, alors que la droite traditionnelle y recule nettement. Dans ce pays, y a-t-il une fracture entre les centres-villes, davantage acquis aux sociaux-démocrates, et le reste de la population ?
Effectivement. Il est tout à fait étonnant de constater que cette géographie, cette sociologie électorale se retrouve dans de nombreux pays occidentaux. On l’a vu avec le Brexit, Trump, les populistes autrichiens, l’Italie, les Pays-Bas dans une certaine mesure. D’ailleurs, même la Turquie n’y échappe pas. On le constate en regardant la sociologie du vote Erdoğan. Ce phénomène, ne semble pas près de s’arrêter. Il est en pleine expansion.
Retrouver cet article sur lefigaro.fr/vox
Aucun commentaire.