«La tête nouvelle de l’hydre antisémite» - la chronique d’Erwan Le Noan

Erwan Le Noan | 12 novembre 2023

«Depuis le 7 octobre, au prétexte d’un soutien aux Palestiniens, les juifs sont menacés. Une chappe d’angoisse s’est abattue sur eux»

« L’enfant juif ne comprenait pas. Le visage illuminé de larmes immobiles, je cherchais à comprendre l’énigme de cette haine. » Albert Cohen a rencontré l’antisémitisme en 1905, à dix ans, sous les traits d’un camelot qui l’insulta. Depuis, il y a eu l’abomination nazie. L’antisémitisme est resté, camouflé souvent, sans retenue parfois. L’hydre nauséabonde repousse sans cesse, relevant à chaque fois une tête nouvelle, sur un corps d’hostilité immuable. Comme aujourd’hui.

Les enquêtes conduites par la Fondapol ont identifié trois foyers parmi lesquels se retrouvent plus fréquemment des clichés hostiles aux juifs : « les sympathisants LFI, les sympathisants RN et les répondants de confession musulmane. » Dans cette dynamique haineuse se mélangent les relents d’extrême droite et une « nouvelle judéophobie », analysée par Pierre-André Taguieff, qui mêle antisionisme et antisémitisme, nuance à « la frontière mince comme un cheveu » selon le grand historien Léon Poliakov. Dans cette confusion, « chaque Juif, où qu’il vive et quoi qu’il fasse, peut apparaître comme un ennemi. L’Israélien sans uniforme et l’Israélite le plus pacifique se retrouvent soldats malgré eux d’une gigantesque armée secrète », notait Alain Finkielkraut dès 1980 dans Le Juif imaginaire. L’antisémitisme est ainsi durable, diffus, suspicieux, entré dans une « ère du soupçon » pour reprendre l’expression de Raymond Aron.

Il s’exprime sans fard depuis le 7 octobre : au prétexte d’un soutien aux Palestiniens, les juifs sont menacés. Une chappe d’angoisse s’est abattue sur eux, qui mêle colère, désarroi et tristesse — d’autant plus pesante qu’à l’incompréhension face à la haine, s’ajoute l’irrépressible sentiment d’une forme d’abandon, dont l’exemple le plus saillant est l’absence lâche des stakhanovistes de la pétition et des militants de l’indignation.

Essence. Le comble est atteint par l’extrême gauche qui refuse de soutenir ses compatriotes face aux discriminations, arguant qu’elle désapprouve la politique d’un Etat étranger (dont elle continue en réalité de nier implicitement la légitimité), les assimilant de fait à une cinquième colonne irrégulière dans le pays, les assignant à une essence qu’elle détermine pour eux. Ce faisant, elle censure leur liberté, elle leur interdit l’égalité, elle leur refuse la fraternité.

Il est donc capital que l’ensemble des Français, quelles que soient leurs origines, confessions ou préférences politiques rompent le silence sur lequel prospèrent la haine, l’angoisse et la lente — mais profonde — fragmentation de la société, et par lequel périt sans bruit la liberté.

A Paris, en 1940, Stefan Zweig écrivit un texte dans lequel il exprimait la douleur que suscitait en lui le silence qui suivait chaque appel au secours des victimes de l’oppression nazie : « “Au secours !” — puis le silence. Le silence glacial, le silence total. (…) Ce silence, cet effroyable, impénétrable, interminable silence, je l’entends la nuit, je l’entends le jour, il remplit mes oreilles et mon âme de son indescriptible effroi. Il est plus insupportable que n’importe quel bruit (…). C’est un gigantesque linceul, tissé par les mensonges et dessous j’aperçois les sursauts désespérés de ceux qui ne veulent pas se laisser enterrer vivants. Je devine et je ressens derrière ce silence l’humiliation et l’indignation de ces millions de voix bâillonnées et étouffées. Leur silence vrille et blesse mes oreilles, il assaille mon âme, le jour et la nuit. »

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François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).

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