La Turquie regarde-t-elle encore vers l'Ouest ?

Laurence Daziano | 26 octobre 2023

La rénovation de l'accord douanier avec l'Union européenne pourrait rassurer les investisseurs occidentaux qui ont en grande partie déserté la Turquie alors qu'elle a besoin de capitaux étrangers pour se développer.

Le 29 octobre, la République turque de Kemal Atatürk fêtera ses 100 ans. La volonté de regarder vers l’Ouest du fondateur de la Turquie moderne s’est traduite par une demande d’adhésion à l’Europe en 1987, reconnue par les Européens en 1999.

En 2021, le Conseil européen a engagé un « agenda positif » avec la Turquie, approuvant une démarche « progressive, conditionnelle et réversible afin de renforcer la coopération » dans des domaines d’intérêt commun.

Les relations entre la Turquie et l’Union européenne ont connu des vicissitudes et des désaccords, l’un des plus importants étant l’application de l’Etat de droit. Lancée à l’initiative du président Macron en 2022, la Communauté politique européenne (CPE) a pour objectif de renforcer les liens avec les pays proches de l’Union, notamment la Turquie.

Le président Erdogan a participé à la réunion de lancement de la CPE, mais n’est pas venu aux deux suivantes. Sa participation à la quatrième rencontre, qui devrait se tenir au printemps 2024 au Royaume-Uni, sera un indicateur de son appétence pour renouer avec les pays européens.

L’éloignement progressif de l’Occident se traduit également sur le plan économique. La Turquie regarde désormais de plus en plus vers les pays du Golfe, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis, qui détiennent les fonds souverains d’investissement les plus importants. Ankara a d’autant plus besoin des investissements du Golfe qu’après des années de politique économique non orthodoxe, l’économie turque est en convalescence, avec une inflation prévue de 70 % en 2023. La monnaie est dévaluée par rapport au dollar et à l’euro, les réserves monétaires sont vides.

Un accord obsolète

La rénovation de l’accord douanier avec l’Union européenne pourrait rassurer les investisseurs occidentaux qui ont en grande partie déserté la Turquie alors qu’elle a besoin de capitaux étrangers pour se développer. Mais malgré les avances de l’Union et la volonté des milieux d’affaires stambouliotes, le pouvoir turc ne semble pas pressé de renégocier un accord qui pourrait arrimer l’économie turque plus fortement à l’Union.

Signé en 1995, cet accord douanier est pourtant devenu obsolète : il couvre les produits manufacturés mais pas les produits agricoles non transformés, les services, la propriété intellectuelle ni les marchés publics dont la transparence constituerait un premier pas vers le respect de l’Etat de droit.

Surtout, il ignore le développement de l’économie numérique, postérieur à sa signature, dont les possibilités de l’IA, le partage des données pour les entreprises dans le domaine de l’innovation et la protection des données des consommateurs par exemple.

Il ignore également les questions climatiques, alors que la ratification par le Parlement truc de l’accord de Paris permettrait à la Turquie de prendre les mesures de convergence nécessaires avec le Green Deal.

La Turquie constitue aujourd’hui, au sud-est de l’Union européenne, une frontière solide contre les soubresauts d’un Moyen-Orient à l’instabilité chronique. L’Union en tire certains avantages malgré les aléas de la relation avec Ankara. La Turquie en tire beaucoup d’inconvénients, sans en avoir les avantages. En saisissant ces nouvelles opportunités, elle pourrait rénover sa relation avec les Européens et ouvrir une nouvelle page de son histoire.

Laurence Daziano est maître de conférences en économie à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Fondapol.

Retrouvez l’article sur lesechos.fr

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.