La voie girondine
Dominique Reynié | 09 décembre 2021
« La quasi-totalité des Français réclame une réorganisation fondamentale de la puissance publique que l’on veut à la fois plus efficace, plus proche et moins présente. »
Dans un pays traversé de doutes et de tensions, le premier enseignement de l’enquête Harris Interactive pour Challenges est l’attachement massif des Français à la démocratie (83 %). Mais cet attachement n’exprime pas nécessairement un sentiment de satisfaction à l’égard de notre démocratie. Ils ne sont que 54 % à considérer qu’elle fonctionne bien. Premier souci : pour 85 % de l’échantillon, « trop de décisions sont prises à Paris par des personnes qui ne connaissent pas la réalité de l’ensemble du pays ».
L’erreur consisterait à ne lire dans ce jugement que le rejet des élites, car les trois quarts des répondants estiment aussi que l’on pourrait « plus facilement régler nos problèmes si les élus locaux avaient plus de pouvoir ». On ne rejette donc pas les élus, mais cette forme de gouvernement qui conduit à diriger la vie des autres sans pouvoir la connaître, en particulier depuis Paris, ville si radicalement singulière que l’on peut s’étonner qu’elle soit encore le siège des pouvoirs publics.
Les Français veulent redistribuer le pouvoir de gouverner en faveur de leurs élus locaux. Que le pays appelle l’étape girondine de la démocratie apparaît plus nettement encore lorsque l’on note que les Français repoussent majoritairement (61 %) l’idée selon laquelle « on pourrait plus facilement régler nos problèmes si l’État avait plus de pouvoir ». Pour l’opinion, trop de décisions sont prises à Paris et l’État n’est plus la solution à tous nos problèmes. Réclamer que l’on puisse gouverner en faisant davantage confiance aux élus locaux est une façon de demander au pouvoir de faire davantage confiance aux Français eux-mêmes. Malgré sa persistance, cette demande n’a jamais été véritablement acceptée ni même entendue. Tout se passe comme si l’appareil administratif, gouvernemental et toute la classe politique redoutaient de perdre une parcelle de leur pouvoir alors que, paradoxalement, des pans entiers ont été cédés à travers l’intégration européenne ou l’endettement public. Ainsi, malgré l’appel réitéré à l’avènement d’une France girondine, les gouvernants et l’ensemble de la classe politique ont jusqu’à présent re fusé de partager leur pouvoir avec leurs concitoyens. II faut voir dans cette obstination l’une des causes de ce sentiment de défiance mutuelle trop souvent présenté comme une fatalité ou un trait culturel. Le refus d’entendre la revendication girondine est l’une des raisons pour lesquelles 72 %des Français estiment que leur opinion « n’est pas prise en compte par les dirigeants politiques ».
De solides motifs donnent à penser que le jacobinisme est parvenu au terme de son histoire. L’enquête Challenges-Harris Interactive éclaire cette nouvelle réalité. La quasi-totalité des Français réclame une réorganisation fondamentale de la puissance publique que l’on veut à la fois plus efficace, plus proche et moins présente. C’est le sens du libéralisme économique dont cette enquête montre aussi le cheminement. C’est peut-être pourquoi, pour la plupart des personnes interrogées (86 %), la démocratie est « le régime le plus propice au développement économique ». L’association du libéralisme économique et du girondisme marquerait véritablement l’entrée de la France de toujours dans le monde d’après. II est urgent de s’y atteler. État et société se font face dangereusement. Seul un profond dialogue pour une redéfinition de la relation évitera de sombrer dans une nouvelle confrontation. Nous devrions retenir la leçon des « gilets jaunes ».
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