Europe : la vague populiste

Claude Imbert | 28 avril 2011

Publié dans Le Point, 28 avril 2011

Et maintenant, la Finlande ! La Cendrillon du Nord court, elle aussi, le guilledou populiste. Ses soeurs ne sont plus seules à valser, enjouées comme notre Marine Le Pen, dans les bras du grand séducteur des temps de crise. Il tourne aussi la tête aux jeunes filles modèles de l’Europe démocratique, le Danemark ou les Pays-Bas. Et même la chaste Suisse croque la pomme de Guillaume Tell. Toutes craquent, un peu ou beaucoup, pour l’enchanteur nationaliste. Alors, les vieux de la vieille Europe s’alarment de voir l’Histoire bégayer avec ces coups de sang qui firent les malheurs du siècle passé.

Le populisme d’aujourd’hui ne gigote plus dans les mêmes cauchemars. Sinon, bien sûr, celui de la crise financière et de la détresse économique. Chez nous, contre les vertiges de l’endettement d’Etat, le coup de frein asphyxie des libéralités que le bon peuple tenait pour éternelles. Depuis trois décennies, la démagogie masquait leur pente fatale. La crise découvre des gouffres. Nulle surprise donc à voir refleurir les recettes protectionnistes, champignons des temps de crise et qui repoussent avec elle tout comme la hausse de l’or ! Nulle surprise à voir cloués au pilori populiste les mêmes boucs émissaires : la classe politique ; l’Europe et son euro ; l’immigré, « étranger » proche ; et les étrangers lointains dont l’inépuisable réserve de pauvres vient battre l’Europe aux anciens parapets. La mondialisation, cet univers des « autres », généralise l’angoisse d’une dépossession nationale.

La nouveauté, c’est que le populisme ne se déchaîne plus seulement dans l’angoisse du patrimoine matériel menacé, celui du niveau de vie. Il se dresse aussi en gardien du patrimoine immatériel, celui du style de vie, celui de l’identité nationale. Dominique Reynié (1) montre très bien que le populisme peut compter – et durablement – sur le chambardement de nos pénates. C’est, en Europe, l’immigration qui les dérange. C’est elle qui tourneboule les démocraties les plus paisibles.

La classe politique aura longtemps rechigné pour affronter ses quatre vérités. Rechigné pour méditer l’épuisement démographique du Vieux Continent. Rechigné pour admettre que le vieillissement de nos peuples aura « aspiré » une immigration légale et illégale qui contribue, quoi qu’on raconte, à leur équilibre démographique. Rechigné, enfin, sous les interdits d’une bien-pensance imbécile pour assumer les conséquences d’une immigration devenue, en Europe, aux deux tiers extraeuropéenne.

Car c’est évidemment cette immigration-là qui change et changera le paysage national. C’est elle qui nourrit le populisme répulsif. Il est absurde d’en espérer l’intégration aisée qui fut celle des immigrés européens du temps jadis. Et d’abord parce que, chez les immigrés de l’après-guerre, la forte affiliation musulmane importe, dans nos sociétés déchristianisées et laïcisées, sa religion d’hommes pieux et ses traditions vivaces.

L’humeur populiste ignore la réalité statistique. Elle ne réagit qu’à ce qu’elle perçoit de l’altérité ethnique et culturelle. Elle ne voit que minarets, mosquées, burqas, coups de canif dans la laïcité scolaire et hospitalière. Elle n’entend que les échos d’un fondamentalisme en réalité très minoritaire, voire combattu, dans l’islam européen. Elle constate, chez nous, dans la concentration des ghettos, le concentré d’échec avéré de l’intégration. Et elle en exagère les dommages nationaux.

La veulerie intellectuelle et politique des classes dirigeantes, dans leur manie d’évitement, laisse le champ libre à l’exploitation passionnelle de vérités cachées. En France, le cercle de la raison est suspecté d’ »islamophobie » quand il dénonce les prétentions séculières du Coran, les entorses à la laïcité républicaine, les mariages forcés et la soumission des femmes. Mais, sur l’autre bord, il est suspecté d’islamophilie naïve quand il parie, à long terme, sur le lent et patient apaisement de l’islam de France. Délires polémiques d’un trouble fatal !

Les effets politiques de la réaction populiste ne sont pas marginaux. Elle a d’ores et déjà dévalué partout la tentation communautariste, et jusque dans une Angleterre qui réalise tardivement sa coupable incurie. Au-delà, elle « droitise » les équilibres politiques où l’électoralisme ménage, dans les urnes, les forces nouvelles nées de la crispation populaire. Plus grave, elle infecte le pacifisme écologique allemand. Elle mine le consensus européen de Schengen. Pis : en répandant son venin, elle attise et grossit les non à l’Europe.

En ce siècle, de ce mal résistible du populisme aucune de nos démocraties n’est morte, ni en péril de l’être. Mais toutes en sont frappées.

1. « Populismes : la pente fatale », de Dominique Reynié (Plon).

Lisez l’article sur lepoint.fr.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.