Le RN au risque de la… normalité

Florence Chédotal | 09 septembre 2023

La fameuse « stratégie de la cravate » serait-elle parvenue à ses fins ? Deux récentes enquêtes traduisent la normalisation croissante du Rassemblement national dans l’opinion. De quoi réaliser son rêve d’accession au pouvoir ? Pas si simple…

Il est des dernières marches plus hautes que les autres. Etape après étape, on n’en finit pas de parler de la dédiabolisation du Rassemblement national. Voilà qu’aujourd’hui, en regardant ces 88 députés bien propres sur eux dans l’Hémicycle, l’opinion se ferait moins farouche. Deux enquêtes récentes le disent à leur façon. En juin dernier, une étude menée par Destin commun et la Fondation Jean-Jaurès montrait ainsi comment l’équation « RN = extrême droite » se disloquait au sein du bloc central modéré des électeurs. Plus récemment, le baromètre Viavoice pour Libération chiffrait en forte augmentation depuis novembre 2021 la crédibilité politique de la leader du RN Marine Le Pen et sa capacité à apporter « des solutions utiles » aux Français. Réel renversement ? Le directeur général de la Fondation politique pour l’innovation (Fondapol) Dominique Reynié ne cède pas aux superlatifs devant un phénomène qui ne date pas d’hier. Dans ses études sur le populisme, il avait nommé cela la « fin du privilège de compétence ».

« Moins d’étrangeté »

« Les citoyens ne perçoivent plus le RN ou Marine Le Pen comme des incapables ». Mais, petite subtilité : « Ce n’est pas nécessairement parce qu’on les juge plus compétents, mais parce qu’on perçoit une normalisation de leur comportement et de leurs propos, et que l’on a tendance à les assimiler massive- ment à une offre politique en voie d’institutionnalisation, donc plus classique. En réalité, on ne les juge pas plus, pas moins compétents que les autres, on a juste moins le sentiment d’avoir affaire à une étrangeté ». On peut donc affirmer que la « stratégie très disciplinaire, qui va jusqu’à ne rien dire, fonctionne d’autant plus que la position du parti ultra est occupée par LFI de manière spectaculaire. Si le RN apparaît comme conservateur et populaire, en revanche, le parti apparaissant comme antisystème en France, c’est LFI ». Place autrefois occupée par le RN. Mais le politologue pointe l’aspect « élitiste » de cette formation d’extrême gauche qui porte des querelles sophistiquées, que ce soit sur la décroissance, le genre, la laïcité, la police… Tous ces énoncés sont légitimes mais ils exigent un niveau de politisation et de maîtrise de l’argumentation qui n’est pas toujours en phase avec la vie ordinaire ».

La « jubilation » perdue

Pour autant, le parti de Marine Le Pen n’a pas tout à gagner dans ce nouveau positionne- ment, selon Dominique Reynié. « Le RN peut perdre la saillance, le tranchant qui l’a toujours accompagné ». Hypothèse sur fond de droitisation de l’opinion : « Si l’image du RN gagne en modération et qu’entre-temps l’exécutif affirme des choses plus difficiles sur l’immigration, le parti perdrait alors des deux côtés, d’une part en étant allé trop loin dans le désir de s’institutionnaliser, d’autre part en étant confronté à un langage plus dur du gouvernement sur des sujets de préoccupation des Français. On se souvient de Gérald Darmanin qualifiant Marine Le Pen de “trop molle”… Être un parti comme les autres, finalement, c’est rassurant mais aussi menaçant pour le RN ». Il s’agira notamment, en 2027, de convaincre ses électeurs de se mobiliser. « Un segment de l’électorat RN peut cesser de vo- ter pour ce parti parce qu’il ne retrouve plus la jubilation qu’il avait à semer du désordre, du chaos médiatique, par son vote ». Marion Maréchal prendra-t-elle, lors des européennes, la position de droite antisystème avec Reconquête ? À qui fera-t-elle les poches ? À suivre de près… « Marine Le Pen n’a pas réussi à faire disparaître Zemmour ». Le politologue estime, par ailleurs, qu’il manque un « élément essentiel dans la normalisation de Marine Le Pen, à savoir l’explicitation claire, publique, de son ralliement à l’euro ». Dans ce paysage, quelle est la bonne méthode de riposte pour les autres partis, tour à tour accusés de faire le jeu du RN ? « Au fond, il y a trois options : réactiver la diabolisation comme le fait la Première ministre ; absorber le RN dans le système pour casser sa dynamique ; ou enfin traiter les sujets qui font sa rente comme l’immigration, de manière directe comme le fait Gabriel Attal avec l’abaya par exemple. Si vous retirez au RN sa spécialité supposée, il pourrait souffrir d’une abstention massive ». Ainsi, même si les conditions d’accession au pouvoir sont « plus favorables que jamais », la normalisation du parti est peut- être allée « un peu trop loin » dans un pays encore en ébullition. La politique est souvent une affaire de curseur.

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