« L’enjeu est de faire demain la course en tête pour vendre sa technologie innovante et imposer ses propres normes au reste du monde »

Emmanuel Combe | 19 avril 2021

En réponse à la pandémie de Covid-19, l’économiste Emmanuel Combe explique dans une tribune au « Monde » qu’il existe pour l’Europe une voie étroite pour une politique de souveraineté qui soit à la fois raisonnable et opérationnelle à court terme. L’idée est d’être le meilleur dans quelques technologies de rupture.

A l’occasion de la crise due au Covid-19, qui a révélé notre forte dépendance vis-à-vis du reste du monde – que ce soit en termes de masques hier ou de vaccins aujourd’hui –, le mot « souveraineté » a fait son entrée dans le vocabulaire économique. Disons-le d’emblée : cette notion n’appartient pas au registre usuel de l’économiste. Elle relève plutôt du vocabulaire politique : est souverain celui qui exerce son pouvoir sur un territoire sans aucune contrainte extérieure.

Si l’on transpose cette notion telle quelle à l’économie, on aboutit à une vision que l’on peut qualifier de « souverainisme » : un pays serait économiquement souverain s’il parvient à être indépendant des autres et à produire tout lui-même. Cette vision conduit à préconiser une forme de protectionnisme généralisé ou, dans une acception moins radicale, une fermeture aux importations.

Reposant sur le « mythe du potager », cette approche mène clairement à une impasse : aucun pays ne dispose de toutes les matières premières, de toutes les compétences pour tout faire lui-même.

Qui plus est, une telle stratégie serait inefficace économiquement : elle casserait les chaînes de valeur qui permettent de tirer parti des avantages comparatifs de chaque pays et des économies d’échelle.

Interventionnisme temporaire et ciblé

Enfin, se priver d’importations à bas prix risque de handicaper ses propres exportations, qui incorporent des composants importés.

A l’opposé de cette première vision maximaliste, nous trouvons une vision minimaliste qui assimile la souveraineté à la seule richesse d’un pays : est souverain le pays qui dispose d’un fort pouvoir d’achat, lui permettant d’acheter aux autres tout ce qu’il ne produit pas lui-même. Cette vision conduit à préconiser une politique de croissance fondée sur l’ouverture à l’exportation de biens à forte valeur ajoutée, qui permettront en retour d’acheter des importations à faible valeur ajoutée.

Cette souveraineté n’exclut pas la dépendance aux autres mais se nourrit plutôt d’une forte asymétrie de taille et de richesse entre les pays. Toutefois, face à la Chine et aux Etats-Unis, une telle politique de puissance économique ne se décrète pas en un jour.

Entre ces deux visions polaires, il existe une voie étroite pour une politique de souveraineté qui soit à la fois raisonnable et opérationnelle à court terme. Elle mise sur un interventionnisme temporaire et ciblé sur quelques productions. Elle peut consister tout d’abord à combler notre retard dans certains secteurs pour rééquilibrer le pouvoir de négociation avec les autres pays, en menant une politique industrielle de rattrapage technologique.

Investir en R&D

Ainsi, si l’Europe parvient demain à produire des batteries électriques ou des semi-conducteurs pour une partie de ses besoins, elle sera moins dépendante des pays asiatiques et pourra mieux négocier ses conditions d’approvisionnement.

Une politique de souveraineté peut également consister à se positionner sur un maillon stratégique de la chaîne de valeur d’un produit, afin de devenir incontournable pour les autres pays. Par exemple, l’Europe pourrait renforcer son avance dans la fabrication de machines permettant la gravure de puces, sans lesquelles les géants asiatiques de la production de semi-conducteurs ne peuvent rien faire.

Elle peut consister enfin à investir massivement en recherche et développement (R&D) sur quelques technologies de rupture, à l’image des ordinateurs quantiques ou du moteur à hydrogène. L’enjeu est de faire demain la course en tête pour vendre sa technologie innovante et imposer ses propres normes au reste du monde. L’idée n’est pas de vouloir tout chercher et tout découvrir, mais d’être le meilleur dans quelques domaines innovants.

A vrai dire, cette conception raisonnable de la souveraineté économique vise à créer une relation réciproque et équilibrée entre pays : l’enjeu est que nos partenaires commerciaux aient demain autant besoin de nous que nous avons besoin d’eux. La souveraineté économique s’apparente alors à une dépendance choisie.

 

Lisez l’article sur lemonde.fr.

Emmanuel Combe, Sarah Guillou, Souveraineté économique : entre ambitions et réalités (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2021).

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