Les compagnies aériennes à bas coûts à l’assaut de la reprise

Guy Dutheil | 12 avril 2021

Dans l’hypothèse où les vols reprendraient en Europe cet été, les low cost privées comme Ryanair semblent les mieux placées pour en profiter.

Ce devrait être l’été des low cost ! Tous les spécialistes sont d’accord, tous les scénarios convergent, les compagnies à bas coûts seront à la fête pour la saison estivale. « Les compagnies low cost vont ressortir plus fortes de la crise », anticipe ainsi Didier Bréchemier, associé du cabinet Roland Berger et coauteur, avec l’économiste Emmanuel Combe, d’une étude menée pour le compte de Roland Berger et de la Fondation pour l’innovation politique. L’étude fait des deux compagnies low cost Ryanair et Wizzair, les deux futures championnes de l’après-pandémie de Covid-19.

Les low cost sont dans les starting-blocks. Elles ont les moyens de leurs ambitions. Ryanair ou Wizzair ont fait la preuve, malgré les difficultés, d’une « solidité financière suffisante qui leur permettra de surmonter la crise », analyse l’étude. Ryanair, qui devrait pourtant enregistrer une perte annuelle comprise entre 800 millions et 850 millions d’euros pour son exercice clôt fin mars, n’a pas sollicité d’aide publique.

Avec leurs flottes géantes de moyen-courrier, 370 avions pour Ryanair, un peu moins de 350 pour easyJet et déjà 125 pour la dernière arrivée, Wizzair, elles pourront desservir toutes les routes à fort potentiel. « Elles auront la capacité de mettre plus d’avions sur ces destinations qu’Air France avec sa filiale à bas coûts Transavia », redoute M. Bréchemier. Face à l’armada des low cost privées, la flotte de Transavia France ne peut opposer qu’une quarantaine d’appareils.

Vide à combler

Dès la reprise, « toute la flotte de Transavia sera mise à contribution », rétorque Olivier Piette, directeur du programme d’Air France. Et même un peu plus. Huit Boeing 737 supplémentaires viendront renforcer la low cost française. Ils ne seront pas de trop car, cet été, les premiers clients à revenir seront les passagers loisirs. Pour le plus grand profit des compagnies à bas coûts.

Crise économique oblige, « à la reprise, les clients vont rechercher les prix les plus bas. Les low cost auront donc un avantage. Elles seront les grandes gagnantes de la sortie de crise », pronostique Marc Rochet, président d’Air Caraïbes et de sa filiale à bas coûts French Bee. Les places financières ne s’y sont pas trompées. Si la capitalisation boursière d’Air France-KLM, British Airways et Lufthansa ont plongé respectivement de 67 %, 59 % et 35 % entre décembre 2019 et octobre 2020, celle de Ryanair ne s’est repliée que de 7 %, et celle de Wizzair de 2 % seulement.

Les low cost à l’abordage dès cet été devraient lancer une consolidation rampante dans le ciel européen. Une consolidation par remplacement plutôt que par rachats. Les compagnies à bas coûts vont tout simplement prendre les places laissées vacantes par les compagnies régulières « historiques » telles Air France-KLM, Lufthansa ou British Airways. En 2019, la part de marché des compagnies à bas coûts en Europe était de 38 %.

Elle risque de monter en flèche à la reprise, car les compagnies historiques ont, à l’occasion de la pandémie de Covid-19, élagué leurs flottes des appareils les plus anciens et les plus polluants. Lufthansa a ainsi mis 120 appareils au rencart. Faute d’avions en nombre suffisant, les compagnies régulières ne pourront assurer autant de destinations qu’avant la pandémie. Un vide que Ryanair et autre Wizzair ne manqueront pas de combler.

Face à cette menace, Air Caraïbes et Air France restent vigilantes : « Les équipes de production, les pilotes, la maintenance, le marketing sont en tension pour être prêts cet été », assure M. Piette, d’Air France. La saison estivale officiellement ouverte depuis fin mars ne devrait pas démarrer avant… l’été. « La reprise, nous la voyons à partir de la mi-juin », indique Marc Rochet, d’Air Caraïbes. « Si la vaccination avance à grande vitesse, les grandes destinations touristiques européennes vont ouvrir à nouveau », prévoit M. Bréchemier.

« Scénario optimiste »

Toutes les compagnies croisent les doigts. Chez Air Caraïbes et French Bee, on met les bouchées doubles pour être fin prêts « Nous nous préparons pour avoir tous les avions et tous les équipages disponibles », signale M. Rochet. Les quatorze gros-porteurs de la compagnie privée, dont neuf A350, seront d’active. Le patron d’Air Caraïbes confie avoir « bien analysé les deux reprises après les confinements du printemps et de l’automne 2020 ». Chez tous les transporteurs, la confiance est de retour.

« Cet été, si les routes sont rouvertes, les passagers seront là », prédit M. Bréchemier. En 2020, iIs avaient déjà répondu présents lorsqu’ils avaient pu voyager, à l’occasion des vacances de fin d’année. « A Noël dernier, il y avait beaucoup de trafic et notre offre de capacités était proche de celle de 2019 » vers l’Outre-mer, avant la crise, abonde Olivier Piette. La compagnie nationale veut absolument voir la lumière au bout du tunnel. « Nous travaillons sur un scénario optimiste, avec un été qui fonctionne bien », explique M. Piette.

Air France mise beaucoup sur les destinations du pourtour méditerranéen avec Transavia, et surtout sur les Antilles où les low cost ne sont pas encore des rivales. Elle va proposer jusqu’à « 56 vols hebdomadaires vers les Outre-mer, Antilles, Guyane et La Réunion », précise le directeur du programme, « si tout se passe bien ! » Dans le cas contraire, « nous ajusterons », prévient-il déjà. En clair, la compagnie est prête une nouvelle fois à annuler des vols. Mais pas question de destinations déficitaires pour une compagnie qui continue de perdre 10 millions d’euros par jour. Cet été, l’objectif « sera de maximiser notre génération de cash », indique M. Piette.

L’optimisme est aussi de rigueur chez Air Caraïbes. Forte de ses A350 capables de transporter 429 passagers à la fois, la compagnie est sûre de son fait. La preuve, souligne M. Rochet : « En juillet-août 2020, nous avions gagné de l’argent. » Mais la compagnie n’a pas été épargnée par la crise. « Nous y avons laissé trois ou quatre années de bénéfices », explique M. Rochet, qui en compensation réclame des aides de l’Etat au même titre qu’Air France, Corsair ou Air Austral.

Il n’empêche, après les Antilles, Air Caraïbes lorgne même le marché américain. « Nous sommes assez confiants sur l’Amérique du Nord », indique son patron. Celui-ci envisage même d’ouvrir une ligne Paris-New York si les Etats-Unis et l’Europe se mettent d’accord sur des procédures sanitaires, telles la « traçabilité de la vaccination, comme le propose Bruxelles, ou des tests PCR ».

 

Lisez l’article sur lemonde.fr.

Didier Bréchemier, Emmanuel Combe, Après le Covid-19, le transport aérien en Europe : le temps de la décision (Fondation pour l’innovation politique, décembre 2020).

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