Libye, Grèce, Chine... le réchauffement climatique, fabrique de déluges ?

Nicolas Berrod | 15 septembre 2023

Plusieurs milliers de personnes ont perdu la vie à cause des pluies diluviennes en Libye, quelques jours après des cumuls records de précipitations en Grèce et en Chine. Le changement climatique accentue l’intensité des épisodes météo pluvieux.

Deux mille, 3 500 ou même 10 000 ? Le nombre de morts dans les inondations en Libye cette semaine est toujours inconnu et varie dans la bouche des différents responsables, mais il s’annonce particulièrement dramatique. Au moins 30 000 personnes se sont aussi retrouvées sans abri dans l’est du pays. La faute à la tempête Daniel, qui avait touché la Grèce quelques jours plus tôt. À l’autre bout du monde, des dizaines de milliers de participants du festival Burning Man ont été bloqués en plein désert du Nevada (Etats-Unis) à cause des pluies diluviennes début septembre. Au même moment, Hongkong et la ville chinoise de Shenzhen ont subi des trombes d’eau jamais enregistrées par le passé.

« Les pluies torrentielles pouvant entraîner des inondations font partie des trois types d’événements extrêmes qu’il faut anticiper, avec les vagues de chaleur et la sécheresse », prévient Françoise Vimeux, climatologue à l’Institut de recherche pour le développement. Ces inondations peuvent être côtières, près des bords de mer, ou fluviales, à proximité de cours d’eau. En octobre 2021, par exemple, la tempête Alex avait causé la mort de onze personnes dans les trois vallées de la Roya, de La Vésubie et de la Tinée, dans le sud-est de la France.

« Les pluies extrêmes sont arrivées plus tard dans notre compréhension »

La succession de cumuls de pluie records et d’inondations meurtrières dans différents pays cet été vient rappeler l’importance d’anticiper ce type de risque, accentué par le changement climatique. « Le lien entre celui-ci et les vagues de chaleur est le plus immédiat, car le principal effet des gaz à effet de serre est de réchauffer l’atmosphère. Les pluies extrêmes sont arrivées plus tard dans notre compréhension des phénomènes, car elles ne sont pas directement liées à ces émissions », avance Davide Faranda, chercheur du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).

Il est difficile de relier directement un événement météo donné au changement climatique, surtout avec peu de recul. Mais les scientifiques ont établi que celui-ci augmentait l’intensité — pas forcément la fréquence — des fortes pluies et donc le risque d’inondations. L’un des principaux mécanismes trouve sa source dans le réchauffement du climat.

« Un degré de température en plus, c’est 7 % de vapeur d’eau supplémentaire dans l’atmosphère. Cette vapeur d’eau peut y rester mais aussi, sous l’effet d’une situation météorologique favorable, retomber et occasionner des pluies plus volumineuses », avance Françoise Vimeux. « C’est de la physique de l’atmosphère, donc cela vaut pour tous les territoires et tous les types de phénomène météo pluvieux : tempête, cyclone, épisode cévenol en Méditerranée, etc. », ajoute-t-elle alors que, justement, un premier de ces épisodes est attendu ce samedi dans le Midi (le Gard et l’Hérault ont été placés en vigilance orange).

Le « medicane » Daniel

Le bassin méditerranéen a d’ailleurs vécu une « situation météorologique favorable » à de la pluie ces derniers jours. La circulation atmosphérique a été en quelque sorte « bloquée », prenant la forme de la lettre grecque oméga. Un vaste anticyclone surplombait la France et une partie de l’Europe centrale, tandis que deux gouttes froides ont entraîné des précipitations aux deux extrémités de l’oméga. À l’est, on retrouve notre dépression Daniel, qui a touché successivement la Grèce puis la Libye avant de « s’éteindre » progressivement.

Les températures très élevées de l’eau à la surface de la mer Méditerranée ont facilité l’évaporation, rendant l’atmosphère humide en plus d’être chaude. Daniel s’en est « nourri », et il a emmagasiné de l’énergie. Les scientifiques l’ont qualifié de « medicane » (contraction de « méditerranéen » et « hurricane » — « ouragan » en anglais), à savoir un cyclone très violent dans cette région du monde.

« Nous pensons que le changement climatique augmente l’intensité des medicanes les plus puissants, et nous sommes convaincus qu’il augmente les précipitations associées à de telles tempêtes », indique sur le site de l’université de Reading (Royaume-Uni) la professeure Liz Stephens. Et si les sols sont secs, ils absorbent moins facilement l’eau qui ruisselle davantage.

À l’échelle mondiale, il est difficile d’anticiper comment vont évoluer les risques d’inondations à l’avenir. « Dans certaines régions continentales, comme en Afrique du Nord, il reste de fortes incertitudes sur la façon dont les extrêmes de précipitation vont évoluer. Notre niveau de confiance dans les projections du risque d’inondation est donc faible », avance Françoise Vimeux.

« Adaptation » nécessaire

À un niveau plus local, par exemple en Europe, les conséquences sont déjà perceptibles. Sur les trente dernières années, les inondations sont le deuxième type de phénomène météo ayant le plus coûté d’argent aux assureurs en France, juste derrière les tempêtes mais devant la sécheresse, selon une note de Fondapol. Et les valeurs extrêmes de précipitations quotidiennes pourraient fortement grimper dans le bassin méditerranéen d’ici cinquante ans, avec des disparités selon les régions, d’après une étude parue en décembre 2021.

Ces projections ne prennent pas en compte la façon dont les différents pays s’adaptent pour faire face au risque d’inondation : réaménagement de zones inondables, installation de murs anticrues, etc. En Libye, deux barrages très fragiles n’ont pas résisté à la pression de l’eau, aggravant le bilan humain. « L’adaptation vaut aussi pour l’évacuation des eaux dans les grandes villes souvent très bétonnées, car nos systèmes de canalisations ne sont pas adaptés », avance Françoise Vimeux. En août 2022 puis en juin dernier, plusieurs stations du métro parisien avaient dû rester fermées à cause de violents orages.

Retrouvez l’article sur leparisien.fr

Arnaud Chneiweiss, José Bardaji, Les assureurs face au défi climatique, Fondation pour l’innovation politique, août 2020

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