"J'ai été sauvé par le génie français"

Anne-Laure Debaecker, Malik Bezouh | 19 janvier 2016

En quête identitaire, Malik Bezouh s est engagé auprès des Frères musulmans avant de découvrir la beauté et la richesse de la culture française. Celui qui prône désormais une réforme de l’histoire confie son amour charnel pour son pays et son militantisme pour la francité.

Valeurs actuelles : Physicien de formation, Franco-Algérien, vous avez appartenu à la confrérie des Frères musulmans avant de vous en éloigner pour appeler à une réforme de l’islam. D’islamiste à patriote, comment s’explique votre étonnant parcours ?

Malik Bezouh : Je suis rentré dans l’islamisme par la porte du malaise identitaire. Lors de mes études, dans les années 1990, j’ai intégré la confrérie des Frères musulmans car je ressentais un mal-être profond. Né en France de parents issus de l’immigration algérienne, je ne m’estimais, en effet, ni arabe ni français. Je n’ai jamais su qui j’étais. Un jour, je suis tombé sur un écrit de Sayyid Qutb, un théoricien du djihad, qui m’apparut comme magique : « Le musulman n’a pas de nationalité, sa nationalité c’est sa foi. » Cela me fit l’effet d’un électrochoc car j’ai cru que je venais de trouver ma voie : je n’étais ni algérien, ni arabe, ni français, mais musulman !
Pendant plusieurs années, j’ai ainsi milité avec les Frères musulmans. À l’époque, une francophobie douce m’habitait, je n’aimais pas la France qui était, à mes yeux, le royaume de Babylone : matérialiste, superficielle, coupée de ses liens avec la transcendance. C’était un pays mort car, pour moi, un pays qui est sans religion s’est abandonné tout entier au veau d’or. Beaucoup de gens issus de l’immigration maghrébine se sont ainsi enfermés dans des schémas réducteurs qui les empêchent de voir la France telle qu’elle est et, partant, de l’aimer. Préjugé, quand tu nous tiens !
Cependant, l’islamisme faisait office de pansement à mes troubles identitaires et ne correspondait pas à mon aspiration profonde. Je suis alors progressivement entré dans un processus dépressif. C’était une situation douloureuse, et ce d’autant plus qu’au sein de la confrérie, convaincus de notre supériorité et de notre toute-puissance, nous considérions les Occidentaux comme égarés et faibles. L’état de déprime ne pouvait être qu’une  maladie frappant les « infidèles ». Je me retrouvais alors dans un état de déliquescence avancé, rongé par le doute. Je n’ai eu d’autre choix que de quitter la confrérie.
Je suis donc reparti à zéro, avec une identité en lambeaux. Scientifique, curieux de nature, et la résilience aidant, j’ai voulu comprendre les causes de cette dépression dans laquelle je m’étais enfoncé. C’est alors que je suis tombé sur un texte de Bossuet. Les propos de ce religieux, contés dans une langue d’une beauté extraordinaire, m’ont fait l’effet d’un deuxième électrochoc. Cette spiritualité manifeste dans ce texte profond, écrit par un Français catholique, m’a fait réaliser que la France n’a pas toujours été vouée à l’idolâtrie et a eu, à une époque, un lien fort avec la transcendance. Pendant une dizaine d’années, je me suis alors mis à étudier ses auteurs et son histoire. J’ai découvert des personnages inouïs – des frères – et un pays extraordinaire. Que la France est complexe, nuancée, honorable et belle !
Finalement, j’ai été sauvé par le génie français, grâce à des auteurs comme Pierre le Vénérable, Pierre Bayle, Bossuet, Louis Veuillot, Nicolas Linguet ou encore Élie Fréron, un philosophe du « traditionalisme ouvert » qui s’est opposé à Voltaire. La philosophie voltairienne n’est d’ailleurs pas neutre : elle fit notamment preuve d’une christianophobie virulente.

Valeurs actuelles : Vous racontez dans votre livre que vous vous êtes senti français à la lecture du massacre vendéen sous la Révolution française…

Malik Bezouh : Ce que j’ai appris sur le massacre des Vendéens – qu’un observateur de l’époque a qualifié de «populicide » – m’a effectivement bouleversé. Les méthodes pour les exterminer furent strictement les mêmes que celles utilisées en Algérie quelques dizaines d’années plus tard. Le réaliser m’a apaisé, dans le sens où j’ai compris que ces exactions commises étaient généralisées, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire.
J’ai un lien fort et charnel avec la France catholique car c’est par elle et à travers ses grandes figures que j’ai appris à aimer mon pays. Grâce à leur découverte, je suis aujourd’hui un Français épanoui et j’ai trouvé ma voie.

Valeurs actuelles : Vous considérez que «l’islam est malade». De quels maux souffre-t-il ?

Malik Bezouh : L’islam possède une véritable incapacité à se réformer. J’appartiens au courant mutazilite incarné par l’école d’Averroès. Ses penseurs ont considéré qu’il fallait rajouter la raison aux deux sources canoniques classiques, le Coran et la sunna. Ils furent écrasés par les traditionalistes au XIIIè siècle, ce qui marqua la victoire du conservatisme religieux. Depuis cette époque, caractérisée par une fermeture théologique, l’islam est décadent sur le plan de la pensée. Cette crise théologique explique en partie l’intégrisme musulman contemporain.
La deuxième crise, de l’unité, est survenue au début du XXè siècle avec l’effondrement de l’Empire ottoman qui a entraîné la fin du califat. Cela fut vécu comme un véritable drame et cette idée de califat obsède l’imaginaire des islamistes qui rêvent toujours de son renouveau.

Ce qui alimente véritablement l’extrémisme est à chercher dans les tréfonds de la crise de la conscience arabo-musulmane. L’État islamique n’est qu’un symptôme de cette crise et non la maladie…

Conséquence de la crise de la fermeture théologique, une crise de la modernité s’y est ensuite ajoutée. En effet, la modernité est exogène à l’islam, donc en revêtir les habits donnerait aux musulmans l’impression de se renier. Aussi existe-t-il une sorte d’attirance-répulsion de l’Occident qui génère, en réponse, de l’intégrisme. Il s’agit d’un réflexe d’autodéfense face à cette modernité occidentale qui inquiète au plus haut point le monde arabo-musulman. Ce qui alimente véritablement l’extrémisme est à chercher dans les tréfonds de la crise de la conscience arabo-musulmane. L’État islamique n’est qu’un symptôme de cette crise et non la maladie… Aujourd’hui, en
France, il faut avoir la lucidité de pointer le doigt sur ce qui pose problème dans l’islam et le réformer. Beaucoup, hélas, font preuve d’un esprit partisan.

Valeurs actuelles : Vous dénoncez justement les travers d’une posture victimaire attribuée à la communauté musulmane française…

Malik Bezouh : Je reproche en effet à une partie de la communauté musulmane de France de développer une sensiblerie excessive et de réagir de façon démesurée. Certains se considèrent, en effet, comme des éternelles victimes de l’abominable « homme blanc » oppresseur. La réalité est pourtant infiniment plus nuancée que ne le laisse supposer cette approche manichéenne. Ainsi, croire que l’esclavage est uniquement une tare de l’ »homme blanc » est un préjugé. Nous savons que les fameux Barbaresques étaient d’immenses esclavagistes. Lorsque je le révèle, on m’accuse de faire le jeu des « Blancs ». On m’a également reproché de m’allier avec des islamophobes lorsque j’ai défendu Finkielkraut – dont je n’épouse pourtant pas toutes les vues.
Or, quand bien même il aurait tenu des propos islamophobes, où est le problème ? Cela fait plus d’un siècle que les catholiques subissent une réelle christianophobie et l’Église de France s’y est adaptée. L’anticléricalisme est, en effet, un élément structurel de l’identité française et il est inconcevable de penser que l’islam puisse être traité différemment. Les caricatures de Mahomet m’apparaissent d’ailleurs comme un début de processus d’intégration de l’islam à cette culture anticléricale. Je les défends parce que je considère qu’elles sont, dans un certain sens, une chance pour l’islam de France.

Valeurs actuelles : Comment inculquer un amour de notre pays ?

Malik Bezouh : Par une meilleure connaissance de notre passé. Il y a un véritable déficit de connaissance de l’histoire de France : de trop nombreux aspects ne sont pas enseignés. Les connaître permettrait pourtant de relativiser les discours et de déconstruire les préjugés. D’autres parties magnifiques de notre histoire restent à découvrir. Nous ne nous donnons pas les moyens de faire aimer la France. Français, on le devient et c’est pour cela que la déchéance de nationalité ne me choque pas. Qui peut penser que ces terroristes ont une once de francité dans leurs veines ? Il reste que ce débat est accessoire. Pour ma part, mon sacerdoce, comme militant de la
francité, est l’unité de la nation française.

Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker.

Malik Bezouh, physicien de formation, est spécialiste de l’islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme. Il est auteur pour la Fondation pour l’innovation politique de la note Crise de la conscience arabo-musulmane, septembre 2015. Il est aussi l’auteur de l’ouvrage : « France-islam. Le choc des préjugés. Notre histoire des croisades à nos jours »  (Plon, 2015). Un compte-rendu sur ce livre est à retrouver sur Trop Libre, le blog de la Fondation pour l’innovation politique.

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