Marche contre l’antisémitisme : et après ?

Thomas Morel | 14 novembre 2023

EDITO. Dimanche, plus de 180 000 personnes manifestaient contre l'antisémitisme en France. Une question subsiste : cette marche servira-t-telle à autre chose qu'apporter du baume au cœur de nos compatriotes juifs ?

182 000 personnes en France, dont 105 000 à Paris seulement. Ce lundi matin, les médias comme la classe politique se réjouissent de l’importante participation aux marches contre l’antisémitisme organisées dimanche dans toute la France. De fait, alors que les agressions, les insultes, les menaces contre les juifs se multiplient depuis le 7 octobre le dernier bilan communiqué par Gérald Darmanin fait état de 1159 actes en un mois, trois fois plus que sur l’ensemble de l’année 2022, il était important que les Français montre leur rejet de toute forme d’antisémitisme.

L’arsenal législatif existe déjà ; c’est son application qui pose problème

Deux jours après, une question subsiste pourtant : et après ? Cette marche servira-t-elle à autre chose qu’apporter du baume au coeur de nos compatriotes juifs ? On peut en douter. D’un point de vue législatif, d’abord, Gérard Larcher promettait dimanche soir des « démarches » à venir. Mais la loi sanctionne déjà largement l’antisémitisme : pour ceux qui l’auraient oublié, les peines encourues vont de six mois de prison et 22 500 euros d’amende pour des injures à cinq ans et 75 000 euros d’amende pour des violences. Or manifestement, la menace de ces sanctions n’a pas découragé les auteurs de tels actes. Il s’agit donc moins d’inventer un arsenal légal que d’appliquer celui qui existe déjà et on voit mal en quoi l’inflation normative, qui n’a pas réussi à endiguer l’insécurité en général, produirait le moindre effet sur l’antisémitisme en particulier.

Politiquement, ensuite, l’absence d’Emmanuel Macron qui a tout de même trouvé le temps d’accorder un long entretien à la BBC pour « exhorte[r] Israël à cesser les bombardements » puis d’appeler le président d’Israël pour clarifier ses propos , celle de La France insoumise , tout comme les huées lancées aux représentants du Rassemblement national, rappellent également à quel point, pour beaucoup, la lutte contre l’antisémitisme reste moins importante que les calculs politiques.

 

Difficile de s’attaquer frontalement au problème de l’antisémitisme sans reconnaître sa source islamique

Sociétalement, enfin, l’antisémitisme n’est pas un phénomène diffus, qui toucherait uniformément toute la société française. La radiographie de l’antisémitisme en France réalisée début 2022 par l’Ifop pour le compte de la fondation pour l’innovation politique l’illustre bien : 15 % des musulmans interrogés reconnaissent éprouver de l’antipathie pour les juifs (4 fois plus que les catholiques) ; 54 % estiment que les juifs ont trop de pouvoir dans les médias ; 51 % qu’ils ont trop de pouvoir dans l’économie et la finance ; 42 % qu’ils ont trop de pouvoir dans la politique. L’anti-defamation league va même plus loin et avance dans son étude 2023 que 62 % des musulmans français ont des opinions antisémites. Difficile, dans ces conditions, de s’attaquer frontalement au problème de l’antisémitisme sans reconnaître sa source islamique. Or ce matin encore, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, interrogée sur cette question, estimait « ne pas savoir » quel est le moteur de la haine des juifs. Citer Camus est devenu une triste habitude : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Incapable de dépasser ses propres clivages et ses petites ambitions, on voit mal comment la classe politique pourrait réellement affronter le problème.

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François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).

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