Mobilisations anti-pass sanitaire : un tremplin pour 2022 ?

Melchior Delavaquerie | 25 août 2021

Tous les samedis, des milliers de personnes manifestent. Au premier rang des cortèges, des hommes et femmes politiques aux ambitions présidentielles.

Dans la troisième saison de la série de fiction politique Baron noir, Christophe Mercier, un professeur de biologie et blogueur antisystème, parvient à deux reprises, sans soutien partisan, au second tour de l’élection présidentielle. Certains analystes politiques ont pensé que dans la réalité, une telle personnalité politique pouvait émerger au sein des Gilets jaunes, mouvement contestataire qui a secoué la France à partir d’octobre 2018.

D’ailleurs, le politologue Jérôme Fourquet, auteur de L’Archipel français (2019), a déclaré sur LCI le 5 août 2021 qu’« un certain nombre de ressemblances assez troublantes » peuvent être mises en exergue entre le mouvement des Gilets jaunes et celui des anti-pass sanitaire, ce dernier étant mobilisé dans la rue depuis déjà plusieurs samedis. Si aucune personnalité n’est parvenue à fédérer le mouvement des Gilets jaunes, certaines ont tenté d’incarner une représentation politique de ces derniers. Ainsi, lors des élections européennes de 2019, plusieurs listes Gilets jaunes ou apparentées se sont constituées. Mais leurs scores sont restés faibles. Par exemple, la liste Alliance jaune, la révolte par le vote, menée par le chanteur et militant politique Francis Lalanne, n’a obtenu que 0,54 % des voix.

Souvent comparées aux manifestations des Gilets jaunes, les mobilisations contre le pass sanitaire paraissent bigarrées et sans chef proclamé. Mais la médiatisation de personnalités au fil des manifestations, à l’instar de Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan ou Jacline Mouraud, interroge sur l’émergence potentielle de leaders anti-pass sanitaire.

Un mouvement sans leader(s) officiel(s)

Le charisme d’un leader fait partie des ressources symboliques qui permettent à une action collective, telle que des manifestations, de créer une dynamique mobilisatrice et ainsi de perdurer dans le temps. Or, Bruno Cautrès, chercheur CNRS et membre du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le souligne, l’émergence de mouvements sans leaders apparents renvoie à « une tendance de fond, peut-être plus générale, dans de nombreuses démocraties, en France à plusieurs reprises au cours des dernières années, de mouvements qui n’arrivent pas ou qui ne veulent pas se doter d’un leadership ». D’ailleurs, le politologue ajoute que « les organisations politiques traditionnelles, les partis politiques, les syndicats, les leaders politiques conventionnels, n’arrivent pas bien à se situer par rapport à ces mobilisations [à l’instar de celles contre le pass sanitaire, NDLR] et ne parviennent pas bien eux-mêmes à être acceptés comme porte-parole de ces mobilisations ».

Certes, la comparaison entre le mouvement des Gilets jaunes et les mobilisations à l’encontre du pass sanitaire peut s’effectuer à différents points de vue. De plus, des figures médiatiques associées aux Gilets jaunes à l’instar de Jérôme Rodrigues sont présentes lors de certaines manifestations. Toutefois, Bruno Cautrès reste « prudent » sur la mise en relation de ces deux phénomènes politiques : « Pour une partie de ceux qui sont anti-pass, il y a une résonance avec la crise des Gilets jaunes, mais tous les Gilets jaunes ne sont pas devenus des anti-pass et tous les anti-pass ne sont pas des Gilets jaunes ». Le manque d’incarnation politique de cette vague contre le pass sanitaire pourrait juguler les conséquences de cette dernière lors de l’élection présidentielle de 2022.

Des mobilisations « sans débouché électoral »

Selon une étude du politologue Dominique Reynié ( 2022, le risque populiste en France , publié sur le site de la Fondapol ), 55 % des personnes interrogées répondent qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, elles pourraient voter pour un candidat qui ne serait pas issu d’un parti politique. Parmi les personnalités bénéficiant d’une couverture médiatique à l’aune de la crise sanitaire, certains ne dissimulent guère leurs velléités présidentielles.

Seulement, la conversion des contestations contre la politique sanitaire menée par le gouvernement en potentiel électoral n’est pas mécanique. D’une part, même si les manifestations anti-pass sanitaire réunissent un nombre important de citoyens français, surtout en période estivale, elles ne regroupent pas une majorité de Français. D’ailleurs, selon un sondage Elabe pour BFMTV publié le 23 août 2021, 64 % des Français interrogés se déclarent en faveur du pass sanitaire dans les bars et les restaurants. D’autre part, le vote contestataire pourrait se répartir sur différentes personnalités situées à droite ou à gauche de l’échiquier politique. Bruno Cautrès le met en exergue, « il est peut-être difficile pour des acteurs politiques traditionnels, qui se situent toujours dans un horizon moyen ou un peu long, et entendent obtenir un bon score à l’élection présidentielle, de prendre position sur un phénomène évolutif, où ils peuvent être démentis sur leurs différentes prises de position quelques semaines ou quelques mois après ».

D’un point de vue plus général, si le politologue pense qu’il n’y aura probablement pas d’issues électorales à l’issue de ces mouvements, il estime qu’un « débouché politique existe, c’est-à-dire que c’est ce sentiment d’une crise démocratique larvée en France qui s’exprime à intervalles réguliers par des successions de crise, et qui vient se fixer régulièrement sur des thèmes […]. Dans les mouvements anti-pass sanitaire, nous sommes dans une contestation de tout ce qui a à voir avec les institutions, une défiance vis-à-vis des autorités même scientifiques, une défiance vis-à-vis de celui qui prescrit des comportements à un autre ».

Des prétendants à l’Élysée mobilisés contre le pass sanitaire

Pas de leaders clairement intronisés, certes, des perspectives électorales limitées aussi, mais un nombre relativement important de candidats à la prochaine élection présidentielle qui s’opposent dans la rue à la politique sanitaire du gouvernement. Il est possible de compter parmi eux les hommes politiques Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot, l’un des visages du mouvement des Gilets jaunes Jacline Mouraud, ou encore l’humoriste Jean-Marie Bigard . Les trois premiers, que nous avons eu l’occasion d’interroger sur les mobilisations contre le pass sanitaire à l’aune de 2022, sont unanimes : il n’y a pas de leader anti-pass sanitaire.

Les trois candidats insistent également sur la volonté de se présenter à l’élection présidentielle au-delà des mobilisations contre le pass sanitaire. Florian Philippot, qui n’a pas la « prétention de représenter ce mouvement [contre le pass sanitaire, NDLR] », souhaite « offrir un projet qui est fondé sur la restauration de toutes nos libertés ». À ceux qui les accusent de tirer la couverture médiatique et de se refaire une santé politique sur la crise sanitaire, Nicolas Dupont-Aignan répond qu’il a d’abord manifesté en « français libre » : « Je suis candidat, j’ai manifesté, mais je n’ai pas été manifester parce que je suis candidat ». Quant à Jacline Mouraud, elle ne fait pas de son opposition au pass sanitaire un « cheval de bataille » : « Cela fait partie des propositions que je formule pour l’élection présidentielle ».

La France pas prête pour un scénario à l’ukrainienne

D’ailleurs, pour Bruno Cautrès, les Français « ne votent pas pour un candidat qui défend une seule cause. Donc pour faire une candidature à l’élection présidentielle, il faut quand même présenter des programmes dans de multiples dimensions ; il n’est pas sûr que le seul fait d’avoir porté à un moment donné cette contestation anti-pass suffise à attirer des votes pour l’élection présidentielle ».

Au regard de l’analyse développée par Bruno Cautrès, la participation active de certains candidats à l’élection présidentielle de 2022 au sein des mobilisations contre le pass sanitaire ne se traduira pas de facto par un gain électoral. Pour le politologue, si rien n’est à exclure, « la France ne semble pas être en ce moment dans un scénario de type ukrainien avec l’élection d’un humoriste télé ou dans la même crise que l’Italie lorsque le Mouvement 5 étoiles avec Beppe Grillo était très haut, car il y a des forces politiques et des acteurs politiques qui déjà captent une partie du vote contestataire ».

Lisez l’article sur lepoint.fr

Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France (vague 4), (Fondation pour l’innovation politique, juin 2021).

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