« Semi-conducteurs : la difficile recherche de l’autonomie européenne »

Emmanuel Combe | 29 mars 2021

« L’Europe ambitionne de fabriquer d’ici 2030 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs. Le succès de cette politique d’autonomie suppose au préalable de répondre à plusieurs questions. »

La Commission vient de publier sa feuille de route pour rendre l’économie européenne plus « autonome » en matière technologique. Parmi les annonces figure l’ambition de fabriquer en Europe d’ici 2030 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs. Le succès de cette politique d’autonomie suppose au préalable de répondre à plusieurs questions.

En premier lieu, quelle est la cause de la pénurie actuelle de semi-conducteurs ? Elle réside dans le fait que la demande mondiale a augmenté plus rapidement que l’offre, notamment avec l’essor du travail à distance. Comme les capacités de production ne peuvent croître que lentement – construire une nouvelle usine de semi-conducteurs prend du temps –, il en résulte une forte tension sur les prix. L’enjeu est donc d’inciter les « fondeurs » – ces entreprises qui produisent les puces de ceux qui les conçoivent – à investir dans de nouvelles usines.

On pourrait penser qu’ils vont naturellement le faire, compte tenu de la hausse des prix ; mais ils peuvent craindre également que la croissance des capacités ne conduise à terme à un retournement cyclique du marché et donc à… une baisse des prix, au moins sur certains composants. L’objectif d’une politique de sécurisation des approvisionnements est d’inciter une fonderie à investir dans des capacités en Europe.

Autonomie. En second lieu, à qui confier ces nouvelles capacités de production en Europe ? L’efficacité recommande de faire appel aux leaders du marché qui bénéficient déjà d’une forte expérience dans le domaine de la fonderie. On pense aussitôt au taïwanais TSMC, au coréen Samsung ou à l’américain Globalfoundries, déjà présent en Allemagne. On voit ici tout le paradoxe d’une politique d’autonomie axée sur la production : elle consiste à court terme à attirer sur le sol européen des investisseurs étrangers.

En troisième lieu, est-on certain qu’une usine de TSMC ou Samsung localisée en Europe nous garantira une plus grande « autonomie » ? Un fondeur peut tout à faire produire demain des semi-conducteurs chez nous et les exporter finalement aux Etats-Unis, si le prix y est plus attractif. Il faudra donc sécuriser les contrats, en prévoyant des clauses de priorité. On peut certes imaginer que l’Europe puisse, en cas d’urgence, réquisitionner la production… mais cette seule possibilité risque de dissuader les investisseurs étrangers de venir.

En dernier lieu, le but d’une politique d’autonomie est-il de produire des semi-conducteurs en Europe ou plutôt de se focaliser sur la conception de nouveaux composants stratégiques ? Dans ce second cas, la politique industrielle consiste moins à investir dans des usines qu’à miser massivement sur la R&D. Une autre option serait de continuer à investir sur le segment de la chaîne de valeur où nous sommes déjà les plus en avance : comme le souligne une récente étude de Paul-Adrien Hyppolite pour la Fondation pour l’innovation politique (Relocaliser la production après la pandémie ?, septembre 2020), tel est le cas des équipements les plus à la pointe dans la fabrication de puces, où l’Europe est bien positionnée avec une entreprise comme ASML. Une politique d’autonomie vise alors à devenir incontournable sur un maillon stratégique de la chaîne de valeur, avec comme objectif ultime de rendre les autres pays… aussi dépendants que nous le sommes. L’autonomie ressemble alors une dépendance réciproque.

 

Lisez l’article sur lopinion.fr.

Paul-Adrien Hyppolite, Relocaliser la production après la pandémie ?, (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).

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