Terrorisme : voici les nouveaux défis que pose le retrait américain du Moyen-Orient
François Clemenceau | 08 décembre 2021
Le colloque européen sur la radicalisation islamiste et la menace terroriste, organisé cette semaine à l'Assemblée nationale par l'Institut Montaigne, la Fondapol et l'European Leadership Network, a mis en lumière les défis nouveaux posés par le retrait américain du Moyen-Orient en général, et de l'Afghanistan en particulier.
Yoram Schweitzer a travaillé pendant plus de vingt ans au Département de contre-terrorisme de la Direction du renseignement militaire israélien, ce qui lui a permis de conseiller les premiers ministres travaillistes Rabin, Peres et Barak. Depuis, il dirige les travaux sur le terrorisme international à l’Institut d’études pour la sécurité nationale (INSS) à Tel Aviv, un think tank d’expertise indépendante incontournable en Israël. Au lendemain de son exposé et de ses échanges avec les autres experts internationaux réunis à l’Assemblée nationale lundi dernier, il a reçu le JDD pour aller un peu plus loin.
Pour lui, les dirigeants occidentaux continuent d’être sur plusieurs fronts anti-terroristes et en même temps dans un entre-deux, une sorte de parenthèse née du retrait américain d’Afghanistan. Qui est aujourd’hui le groupe terroriste le plus dangereux dans la région? Yoram Schweitzer n’hésite pas à dire que les Talibans sont à l’évidence les plus nocifs pour leur propre population. Mais que sur un strict plan sécuritaire, Al-Qaïda et Daech restent dans une forme de compétition, comparable à celles qui les a opposés en Irak, en Syrie et au Sahel. Pas forcément pour prendre le pouvoir aux Talibans mais pour rester une alternative et, surtout, pour maintenir en Afghanistan une présence qui leur permette de rayonner dans la région.
L’Iran, un cas d’école très particulier
Comment savoir précisément si Daech, par exemple, va pouvoir plus facilement commettre des attentats au-delà des frontières afghanes en allant frapper des alliés des puissances occidentales ou des partenaires de la Russie? L’ancien officier de renseignement répond qu’il est évidemment plus difficile aujourd’hui de surveiller l’espace afghan depuis le retrait américain. Mais que les nouveaux moyens d’acquisition d’informations à distance sont très actifs. Allusion aux satellites bien sûr, mais aussi aux interceptions électroniques, aux drones et probablement aux bornes fixes d’écoute que les Américains et d’autres alliés ont laissées derrière eux. Schweitzer évoque aussi le travail des services des autres pays de la région qui maintiennent une coopération active avec les États-Unis, Israël et les Européens : le Qatar, les Émirats, le Pakistan, et, à un moindre degré, la Russie et la Chine. Pour améliorer la connaissance du terrain, beaucoup dépendra du retour ou non des Occidentaux et la réouverture de leurs ambassades, avec l’inconvénient de voir ce geste interprété par les Talibans comme une reconnaissance de leur légitimité.
L’expert israélien estime en tout cas que les voisins de l’Afghanistan (Chine, Russie, Iran, Pakistan pour l’essentiel mais aussi Inde, Tadjikistan et Ouzbékistan) ont désormais beaucoup sur les épaules. Ils vont devoir à la fois se prémunir de la possibilité de voir les Talibans tolérer la présence d’organisations terroristes sur le sol afghan et faire en sorte que cet activisme ne cherche des zones de repli ou d’attaques à leur périphérie.
L’Iran est, de ce point de vue, un cas d’école très particulier. Yoram Schweitzer sourit lorsqu’on lui soumet l’hypothèse selon laquelle Israël et l’Iran partagent un ennemi commun, Daech. S’il admet que les milices chiites en Irak ont œuvré à l’éradication de l’ État islamique, ce n’est que pour mieux faire pression sur le gouvernement central afin de le maintenir dans une dépendance vis-à-vis de Téhéran. Il conteste en revanche que le Hezbollah pro-iranien ait vraiment voulu éradiquer Daech en Syrie. Selon lui, l’entrée en guerre du Hezbollah en Syrie visait davantage à sauver le régime de Bachar el-Assad, en luttant contre les rébellions sunnites de toute obédience, de façon à continuer la « chiisation » du pays et à le maintenir dans l’arc chiite qui va du Liban jusqu’à Bahreïn et au Yémen en passant par Damas et Téhéran. Voilà qui continue d’inquiéter Israël, signale-t-il, même s’il se réjouit de la nouvelle coopération sécuritaire de l’État hébreu avec les Émirats et Bahreïn, en vertu des accords d’Abraham signés l’an passé, et du positionnement de la France dans l’objectif central de stabiliser la région, comme l’a prouvé son parrainage de l’importante conférence régionale qui s’est tenue à Bagdad l’été dernier.
Un paysage terroriste en mutation
Quant au programme nucléaire iranien, qui se combine aux actions des proxys iraniens au Moyen Orient, Schweitzer estime qu’il n’y a pas d’autre choix pour Israël que de maintenir sa politique d’« assassinats ciblés », de « sabotage » et d’« actions clandestines » en Iran. Oui, reconnaît-il, les Iraniens reconstruisent derrière et parfois plus vite et plus moderne, persuadé que « l’Iran maitriserait aujourd’hui l’arme nucléaire si ces actions préventives n’avaient pas été menées », en parallèle des négociations diplomatiques entre l’Iran et les grandes puissances.
Yoram Schweitzer décrit au fond un paysage terroriste en mutation. Au-delà du phénomène des « auto-radicalisés » en Europe, et des guerres d’influence fratricides entre « marques »terroristes, au Levant comme au Sahel ou en Asie du sud, on comprend à travers ses propos que les États-Unis, très éloignés du théâtre africain et moyen oriental, vont continuer à soutenir le combat des démocraties et de leurs partenaires au Moyen Orient et en Asie. Mais que ce sont bien les États des régions concernées qui devront être en première ligne. « Biden a beaucoup à faire à domicile, sur les questions globales et face à la Chine », conclut Schweitzer. Sous-entendu, à nous tous de prendre nos responsabilités.
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