Violence contre les hommes politiques : entre haine et revendications
Dominique Reynié, Guillaume Erner | 09 juin 2021
Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, était l’invité de l’émission L’invité des Matins sur France Culture afin de parler de la question de la violence en politique.
Hier Emmanuel Macron a évité de peu une gifle lors d’un bain de foule dans la Drôme. Un événement qui s’inscrit dans une liste d’agressions plus ou moins graves (et réussies) à l’encontre d’un Président de la République et qui en dit long sur la violence en politique.
Un événement qui n’est pas sans précédent si on se rappelle les crachats dont Jacques Chirac a été la cible le 4 mars 2002, à Mantes-la-Jolie, ou encore les œufs jetés par des agriculteurs au Premier ministre Pierre Bérégovoy en mars 1993. Emmanuel Macron a toutefois particulièrement crystallisé la haine populaire contre les politiques, notamment en marge du mouvement des gilets jaunes dont il était la première cible. Lors de la manifestation contre la réforme des retraites en janvier 2020, une effigie à la tête du président avait été montée sur une pique.
Ces actes de violence à l’encontre d’un Président de la République ne sont donc pas anodins et tendraient à se développer à travers les réseaux sociaux. Comment comprendre cet élan de colère envers Emmanuel Macron ? Dans quelle mesure cet acte s’inscrit-il dans une histoire de la haine envers les politiques ? Ces violences sont-elles davantage le signe d’un ras-le-bol de la situation ou la marque d’une revendication politique ?
La symbolique d’un geste anodin
Dominique Reynié distingue le geste d’une personne particulière, atypique, que l’on peut classer dans « les choses qui arrivent », d’un geste inscrit dans un contexte de tensions croissantes.
« Il s’agit plus souvent d’une violence rhétorique, comme sur les réseaux sociaux, et comme si on ne pouvait plus avoir de confrontation politique sans altercation, il y a un moment où on passe à la violence physique. Que ce soit le Président, les policiers, les pompiers, les personnels soignants, … on n’est pas surpris quand on voit ce geste, c’est ce que l’on redoute, on s’attend même à une dégradation supplémentaire. » Dominique Reynié
Malgré l’incident, Emmanuel Macron poursuit son déplacement à la rencontre des Français, voulant ainsi montrer que l’institution n’est pas fragilisée, malgré le doute croissant sur son efficacité, que l’on retrouve dans le taux d’abstention des élections.
« La démocratie se caractérise par l’idée d’un pouvoir qui émane du peuple, dirigé par un membre du peuple et qui y retournera à la fin de son mandat. Il n’y a pas de sang bleu, de surhomme au-dessus des autres. Cela suppose le vivre ensemble et le contact. À partir du moment où il y a ce type d’agression, il y aura inévitablement des fermetures supplémentaires, plus de contrôles et le sentiment d’un pouvoir qui se retranche derrière les murs de l’Elysée et qui ferait grandir le sentiment que le Président n’est pas comme nous, qu’il ne nous comprend pas. » Dominique Reynié
Portrait robot de l’agresseur
Selon Matthieu Suc, la personne qui a été arrêtée hier ne possède pas de casier judiciaire et ne présente pas le parcours traditionnel des militants d’extrême-droite. Mais au regard de son historique internet, il coche toutes les cases du militant d’extrême-droite.
« Il suit Papacito qui a fait parler de lui dans une vidéo où il abattait un militant de gauche, il suit Henry de Lesquen, Valeurs Actuelles et d’autres personnalités de la facho-sphère. Il donne des cours de kendo, qui est un art martial traditionnel japonais. Selon, un rapport du parquet général de la cour de Paris dédié à l’ultra droite, ce milieu recrute beaucoup dans les centres d’arts martiaux et les milieux masculinistes. » Matthieu Suc
« Au fond, c’est le résultat d’une désinstitutionalisation de la politique, avec des individus qui flottent, tissant des liens plus ou moins forts dans des systèmes de réseaux qui font sens. Le kendo n’est pas un sport de brut mais un art martial avec des sabres de bois qui renvoie à la tradition japonaise. Manifestement, on n’a plus aujourd’hui des individus pris par des idéologies construites, des réseaux de mobilisation syndicale ou partisane, mais qui se mettent en réseaux grâce à internet. » Dominique Reynié
La mobilisation autour des idées masculinistes
Outre la revendication d’extrême droite et le passage à la violence, l’individu interpellé s’inscrit aussi dans la branche « masculiniste » de la facho-sphère. Un terme encore récent et encore complexe à définir.
« C’est d’abord une idéologie particulièrement diffuse qui consiste à penser qu’il existe une condition masculine menacée, subordonnée et qu’il faut défendre. Papacito par exemple, présente des liens forts entre le rapport au politique et la question de la masculinité. » Mélanie Gourarier
« Un des problèmes que le masculinisme souligne est de dire qu’on est dans une forme de féminisation de la société et qu’il faut y réinjecter des valeurs masculines. Il faut le distinguer du virilisme qui est un mode de pensée qui s’intéresse à une masculinité plus outrancière et visible. Dans le masculinisme on comprend aussi des manifestations douces et masquées. » Mélanie Gourarier
« L’anti-féminisme est aussi un vecteur d’ultra-droite, un biais de recrutement. Les figures du Rassemblement national, comme Julien Rochedy ou Julien Odoul, sont des passerelles qui diffusent un discours viriliste. » Matthieu Suc
Retrouvez l’émission dans son intégralité sur franceculture.fr.
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